La scène se passe dans le studio d'une chaîne de télé où 8 des 11 chefs de partis briguant un poste à la Knesset, le Parlement israélien, débattent des enjeux de la campagne électorale en cours.

L'échange se corse quand Avigdor Lieberman, chef d'un parti ultranationaliste, attaque de front Ayman Odeh, leader de la Liste arabe unie qui rassemble les principaux partis politiques de la minorité arabe israélienne.

«Pourquoi êtes-vous venu dans ce studio, pourquoi n'êtes-vous pas à Gaza ou Ramallah, on ne veut pas de vous ici!» lance ce politicien originaire de la Moldavie de l'époque soviétique.

«Mais je suis bienvenu dans ma patrie, je fais partie de ce paysage», réplique son adversaire.

Cette altercation ne trompe pas: nous sommes bel et bien en Israël. Dans quel autre pays un citoyen issu d'une minorité représentant 20% de la population pourrait se faire ainsi prier d'aller faire campagne ailleurs, sans que l'incident ne crée une tempête politique?

Avigdor Lieberman, leader du parti Israel Beitenou (Israël notre maison), et ex-ministre des Affaires étrangères, a une idée fixe: il veut expulser les Arabes israéliens vers les territoires palestiniens.

Paradoxalement, ce sont ses efforts visant à hausser le seuil d'entrée à la Knesset, et ainsi limiter la représentation arabe, qui ont abouti à la création d'une liste unique briguant les suffrages au nom de cette minorité.

Pour ne pas se faire éliminer du paysage politique, quatre formations arabes, représentant des courants aussi opposés que l'extrême gauche et les islamistes, ont décidé de se présenter sous un seul parapluie. Résultat: la minorité arabe est plus forte politiquement qu'elle ne l'a jamais été.

À la veille du vote, les sondages prédisaient qu'elle pourrait décrocher jusqu'à 13 des 120 sièges de la Knesset. Dans un paysage politique ultra fragmenté, c'est assez pour influencer la couleur du prochain gouvernement.

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Au moment où paraît ce texte, les Israéliens continuent toujours de voter et le résultat de leur choix démocratique reste inconnu.

Mais cette union sans précédent entre les partis arabes de toute allégeance s'impose déjà comme l'un des phénomènes les plus marquants de ce scrutin.

Il y en a d'autres. Notamment la baisse de popularité du premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui avait déclenché des élections hâtives dans l'espoir de raffermir sa coalition. Et dont le parti, le Likoud, semble se diriger vers une deuxième place, derrière l'Union sioniste, formation de centre gauche dirigée par le travailliste Isaac Herzog.

Comment expliquer cette chute? «Beaucoup d'électeurs en ont assez de Bibi», tranche l'analyste israélien Moshe Maoz, utilisant le surnom familier du premier ministre sortant.

Celui-ci a surtout fait campagne sur le thème de la peur, la menace iranienne et le spectre d'un nouvel Holocauste. Et il a totalement négligé les questions sociales qui préoccupent au plus haut point ses compatriotes. «Il parle d'Iran, mais les gens ont besoin de manger», analyse Moshe Maoz.

En d'autres mots, la stratégie de la peur a probablement atteint ses limites. La stratégie de l'humour aussi. Devant la flambée des prix qui affecte les gens au quotidien, ses pubs électorales sous forme de blagues, très condescendantes à l'endroit de ses adversaires, ont pu, elles aussi, se retourner contre Benyamin Nétanyahou.

Elles étaient parfois très drôles. Mais les électeurs n'entendaient pas du tout à rire. Ajoutez-y les frasques de sa femme, Sara, qui aurait encaissé pendant des années la consigne de bouteilles achetées aux frais de l'État et vous avez assez d'éléments pour expliquer une éventuelle déconfiture, dans un vote qui a des airs de «Bibirendum».

Doit-on pour autant s'attendre à un changement de cap majeur? En tout cas, pas sur la question des relations israélo-palestiniennes, qui a été pratiquement absente de la campagne électorale.

Si sa victoire se confirme, Isaac Herzog devra encore réussir à bâtir une coalition pour former gouvernement - ce qui ne sera pas facile, ses alliés naturels ne lui permettant pas de décrocher les 61 sièges nécessaires, si on se fie aux sondages.

S'il fait alliance avec la Liste arabe unie, il risque de perdre des alliés potentiels à sa droite. Sinon, il risque de devoir se marier avec... le Likoud, son principal adversaire d'aujourd'hui. Les lendemains électoraux en Israël sont faits de ces douloureuses tractations.

Le cas échéant, un futur gouvernement dirigé par les travaillistes pourrait geler les constructions juives en Cisjordanie. Il sera peut-être moins provocateur que le gouvernement de Nétanyahou. Il relancera peut-être les pourparlers de paix. «Mais de là à penser qu'il aboutira à la création d'un État palestinien, c'est une illusion», avertit le politologue Yossi Alpher.

Moshe Maoz n'est pas plus optimiste. L'élection de l'Union sioniste, dirigée par les travaillistes, «ne mènera pas vers la paix».

Pour ça, conclut-il, «il nous faudrait un miracle...»