Dans un ultime geste d'éclat avant de remettre sa démission, l'ex-ministre des Affaires étrangères John Baird avait annoncé la libération «imminente» du journaliste égypto-canadien Mohamed Fahmy, emprisonné au Caire depuis plus de 13 mois.

C'était il y a huit jours. Aujourd'hui, John Baird n'est plus ministre. Mais Mohamed Fahmy, lui, croupit toujours en prison.

Condamné une première fois pour «terrorisme», dans un procès bidon dont le verdict a été annulé en appel, le journaliste pourrait être de retour devant la cour égyptienne dès jeudi. Sa famille, qui priait pour que sa libération survienne avant la tenue d'un nouveau procès, vit maintenant «le pire des cauchemars», a confié son frère, Adel Fahmy.

Que s'est-il donc passé depuis les roulements de mécaniques de John Baird, qui était tout fier de ramener de bonnes nouvelles dans ses bagages, à l'issue de sa dernière visite diplomatique au Caire? Pourquoi Mohamed Fahmy retourne-t-il à la case zéro, après des semaines d'espoir?

J'ai posé la question, hier, à Tom Henheffer, directeur exécutif de l'organisme Journalistes canadiens pour la liberté d'expression, qui se bat pour la libération de Mohamed Fahmy et suit son dossier millimètre par millimètre.

Eh bien, Tom Henheffer ne mâche pas ses mots. Pour lui, le principal responsable de ce revirement de situation n'est nul autre que l'ex-ministre Baird.

Il faut savoir qu'en décembre dernier, les astres semblaient s'aligner en faveur de la libération du journaliste de la chaîne qatarie Al Jazeera. Les relations entre l'Égypte et le Qatar étaient alors en voie de réchauffement. Quand le gouvernement égyptien a adopté une loi permettant d'expulser des accusés détenteurs d'un passeport étranger, tout le monde y a vu une porte de sortie pour Mohamed Fahmy et son compagnon d'infortune australien, Peter Greste.

Mais il y avait une condition: il fallait promettre que les accusés seraient jugés, une fois rentrés dans leur pays.

Selon Tom Henheffer, les Égyptiens savaient bien que la justice canadienne épargnerait Mohamed Fahmy, qui a même renoncé à sa citoyenneté égyptienne pour faciliter sa libération. Mais en attendant, il fallait faire semblant que cette condition serait respectée. Question de sauver la face: le régime égyptien ne devait pas donner l'impression de plier devant les pressions internationales.

Or, qu'a fait John Baird lors de son passage au Caire? Il s'est empressé de dire publiquement que Mohamed Fahmy ne serait pas poursuivi par la justice canadienne.

Résultat: Peter Greste a pu rentrer chez lui, il y a 10 jours. Pas Mohamed Fahmy...

Dans toute cette histoire, Ottawa a toujours fait le contraire de ce qu'il fallait faire, dénonce Tom Henheffer. «Quand il fallait parler, on ne disait rien. Ça donnait l'impression que le Canada se fichait du sort de Mohamed Fahmy. Et quand il fallait se taire, on a parlé.»

Résultat: un magistral cafouillage de la part d'un ministre qui s'est pointé au Caire tel un sauveur, après des mois de silence.

Il y a deux mois, l'avocate de Mohamed Fahmy, Amal Clooney, a publié une lettre fustigeant l'inaction d'Ottawa - aux antipodes de l'attitude combative du gouvernement australien. «Le Canada a été honteusement silencieux devant la parodie de justice qui a mené à la détention de son citoyen», a-t-elle dénoncé, en priant Stephen Harper d'appeler personnellement le président Abdel Fattah al-Sissi.

Aux dernières nouvelles, le coup de fil se fait toujours attendre. La famille du journaliste vient de lancer une campagne pour inciter le premier ministre Harper à composer le numéro du leader égyptien. Ça se trouve sous le mot-clic: #harpercallegypt. On attend toujours le résultat...

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John Baird a été l'un des meilleurs ministres du gouvernement conservateur de Stephen Harper, ont clamé plusieurs commentateurs après sa démission.

Voyons voir. Depuis qu'il a pris les rênes des Affaires étrangères, en 2011, l'ancien ministre a fermé l'ONG Droits et démocratie. Sous son règne, le Canada a claqué la porte de la Convention sur la lutte contre la désertification.

Il s'est également illustré comme l'un des rares pays à refuser de signer le Traité sur le commerce des armes. Le Canada a aussi coupé unilatéralement toute relation diplomatique avec l'Iran, en pleines négociations sur le programme nucléaire iranien. Et il est entré en symbiose avec la droite au pouvoir en Israël, perdant toute distance critique avec les politiques colonisatrices de Benyamin Nétanyahou.

«John Baird, c'était la voix de son maître», affirme Errol Mendes, politologue à l'Université d'Ottawa, qui lui reproche d'avoir exécuté à la lettre les commandes du premier ministre Harper. En alignant la politique étrangère canadienne sur des impératifs de rentabilité électorale intérieure, point à la ligne.

Bref, John Baird est un poids lourd... qui laisse un héritage bien léger.