La Jordanie a promis de rétorquer avec force à l'assassinat du pilote Maaz al-Kassasbeh, brûlé vif par le groupe État islamique. Et elle n'a pas attendu longtemps pour mettre sa menace à exécution. Hier, à l'aube, le régime jordanien a exécuté deux prisonniers condamnés à mort pour terrorisme.

Cette séquence d'événements risque de provoquer une escalade de représailles et de contre-représailles. Et d'exacerber les tensions internes dans un pays déjà fragile.

Ce qui en découlera n'est pas clair. Mais les turbulences sont inévitables, croient les experts.

La Jordanie fait partie des cinq pays arabes qui se sont joints à la coalition contre le groupe État islamique. Cet engagement militaire était déjà contesté avant la capture du pilote, autour de mots-clics comme #thiswarisnotourwar - cette guerre n'est pas la nôtre...

Il risque de l'être encore plus maintenant, avec la diffusion de ces images atroces mettant en relief les périls d'une guerre que plusieurs Jordaniens perçoivent comme étrangère, pour ne pas dire américaine.

Mais ces mêmes images, d'une brutalité insoutenable, pourraient aussi raffermir les convictions des «pro-coalition» et creuser les clivages qui déchirent le royaume d'Abdallah II.

Géographiquement, la Jordanie est dans une position pour le moins inconfortable, coincée entre l'Irak et la Syrie, deux pays où les salafistes de l'EI font des ravages et dont les frontières sont loin d'être étanches.

«Peu de pays sont aussi menacés par l'EI que la Jordanie», résume Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient à l'Université d'Ottawa.

Selon un sondage du Centre des études stratégiques de l'Université de Jordanie, près des deux tiers des Jordaniens perçoivent le groupe État islamique comme une organisation terroriste. Mais en même temps, des cellules de l'EI existent bel et bien en Jordanie, qui a vu quelques manifestations de soutien en faveur du groupe.

Ce pays abrite aussi un fort courant de sympathie pour Al-Qaïda et son ancien leader en Irak, Abou Moussab al-Zarqaoui, qui est jordanien d'origine.

Sans oublier la guerre civile syrienne, qui a déversé plus de 600 000 réfugiés vers la Jordanie, un afflux potentiellement déstabilisateur pour un pays de tout juste 6 millions d'habitants.

Pays fragilisé, donc. Et c'est précisément cette fragilité que visait l'EI en exécutant le pilote jordanien, signale la chercheuse française Myriam Benraad dans un entretien avec le journal Libération.

Selon elle, les attentats en France, il y a un mois, ont accentué les rivalités entre Al-Qaïda et l'EI, qui a voulu marquer un «grand coup» en exécutant le pilote. «Aussi horrible à dire que cela puisse paraître, il y a eu une banalisation de la décapitation par l'EI» remarque la chercheuse. Le supplice par le feu, c'est nouveau dans l'arsenal djihadiste. Assez en tout cas pour créer une onde de choc dans les médias.

La monarchie jordanienne a déjà un problème de légitimité. Avec ces nouveaux événements, «elle fait face à un péril sérieux», dit Sami Aoun, de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Selon lui, Abdallah II est pris entre deux feux: ou bien il ralentit son effort de guerre, ou bien il persiste et signe. Dans les deux cas, il marche en terrain miné.

Personne ne s'attend à ce que le régime du roi Abdallah s'effondre demain matin. Ou à ce que les troupes du groupe État islamique se lancent du jour au lendemain à l'assaut de villages jordaniens. Mais plus les frappes contre l'EI se prolongent, plus le groupe armé risque de gagner la guerre des esprits, dans une population généralement hostile aux États-Unis.

Le groupe djihadiste pourrait aussi entraîner la Jordanie dans une spirale d'attentats qui affaibliraient progressivement le régime du roi Abdallah II. «À long terme, la viabilité du régime est source d'inquiétude, et ce qui est arrivé dans les derniers jours le confirme», dit Thomas Juneau.

Pour calmer le jeu et éviter de s'exposer à de nouvelles atrocités, le régime jordanien pourrait choisir de mettre un frein à ses frappes contre l'EI sans trop le crier sur les toits. Washington serait ainsi en mesure de continuer à clamer qu'il a le soutien de cinq pays arabes, tandis que les pilotes jordaniens ne risqueraient plus de se faire prendre.

Un tel scénario permettrait probablement de neutraliser l'escalade. Mais pour combien de temps?