Il y a tout juste un mois, un général de l'armée pakistanaise se réjouissait publiquement des succès militaires réalisés dans l'offensive menée contre les talibans dans les zones tribales du nord-ouest du pays.

Faisant visiter la région à des journalistes, le général Zarafulla Khan s'est félicité des «progrès significatifs» réalisés par l'armée. À preuve, après six mois d'une offensive qui a coûté la vie à quelque 1600 insurgés, ces derniers se tenaient tranquilles, incapables de mener à terme leurs menaces de représailles. C'est sûrement parce que leur mouvement avait été sérieusement affaibli...

Zarafulla Khan a dû ravaler ses vantardises, hier matin, alors qu'un commando de six kamikazes bardés d'explosifs a fait irruption dans une école fréquentée par un millier d'élèves âgés de 10 à 18 ans, à Peshawar, la grande ville de l'une de ces provinces occidentales.

Je manque de mots pour décrire le carnage qui a suivi. Des élèves abattus d'une balle dans la tête dans un auditorium où ils assistaient à une formation en choix de carrière. Un enseignant brûlé vif devant ses élèves. Des terroristes qui débusquaient les élèves cachés sous les bancs et se félicitaient de leur «bon travail». Des scènes d'horreur pure qui ont détruit des familles et marqueront à jamais les survivants.

Le Pakistan a connu sa part d'attentats depuis une décennie, mais celui d'hier est sans précédent. Par sa cible, sa méthode et son bilan - 141 morts, dont 132 enfants -, il marque une nouvelle page noire dans l'histoire du pays.

Jusqu'à maintenant, les talibans des provinces du nord-ouest avaient tendance à viser des objectifs représentant le pouvoir ou l'armée. Il y a eu des exceptions, bien sûr. Dont la tentative d'assassinat de la jeune Malala Yousafzaï dans la vallée de la Swat, à deux heures de route de Peshawar, en automne 2012.

Mais les principales organisations des talibans étaient d'abord et avant tout engagées dans une guerre contre l'armée et le pouvoir. Cette fois, ils ont abattu froidement des enfants sans défense. Un à un, d'une balle dans la tête.

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Au-delà de l'horreur qu'elle inspire, cette tuerie ne survient pas dans le vide. Il y a cinq ans, l'armée avait déjà réussi à arracher aux talibans le contrôle de la vallée de Swat. Mais ils restaient présents et actifs dans ces régions proches de la frontière afghane.

En juin dernier, après l'échec d'une tentative de négociation avec les insurgés, l'armée a repris son offensive contre les talibans. En six mois, 1600 insurgés ont été tués, tandis que des dizaines de milliers de Pakistanais ont dû quitter leur coin de pays, souvent pour trouver refuge en Afghanistan.

Ces pertes se sont ajoutées aux tiraillements internes qui déchirent le Mouvement des talibans du Pakistan (TTP), qui a revendiqué l'attentat d'hier, depuis que son chef Hakimullah Mehsud a été tué par un tir de drone, il y a un an.

Son successeur, le mollah Fazlullah, dirige le mouvement depuis l'Afghanistan voisin. Et il n'arrive pas à le contrôler. Résultat: le TTP craque de partout. Et comme d'autres mouvements extrémistes, il subit la concurrence du groupe État islamique qui fait des ravages en Irak et en Syrie.

Récemment, six commandants du TTP ont fait défection pour rejoindre l'EI. Son numéro 2, Khan Said Sajna, a lui aussi claqué la porte du TTP en raison de divergences idéologiques.

Le Christian Science Monitor a publié hier une analyse fascinante expliquant comment les talibans pakistanais se sont peu à peu divisés en deux branches: ceux qu'on appelle là-bas les «bons talibans» et les «mauvais talibans». Les premiers refusent de commettre des attentats sur le sol pakistanais et concentrent leurs actions en Afghanistan. Ils sont disposés à nouer un dialogue avec l'État et l'armée.

Les autres... eh bien, ils font ce que la cellule terroriste du TTP a fait hier. Ils sèment la violence. Pour répondre aux attaques de l'armée, bien sûr. Mais aussi, pour faire étalage de leur force et freiner leur désagrégation.

En toile de fond de ces fractures: la complexité politique du Pakistan, où une partie des élites soutient plus ou moins ouvertement les extrémistes. Et où les provinces occidentales qui abritent les talibans sont soumises à un régime particulier et isolées du reste de la planète.

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Dans ce contexte ultra compliqué, quel peut être l'impact de l'attentat d'hier? Peut-être créera-t-il le point de rupture qui détournera les élites politiques du pays des groupes les plus violents. C'est en tout cas ce que souhaitaient de nombreux observateurs pakistanais, hier.

Peut-être assistera-t-on à un déblocage politique, peut-être le vent tournera-t-il à tout le moins en faveur de ceux que l'on appelle les «bons talibans».

Peut-être aussi, qui sait, le gouvernement d'Islamabad changera-t-il de stratégie dans ces régions rebelles. Puisque de toute évidence, la stratégie strictement militaire ne fonctionne pas, comme le constate le centre de recherche International Crisis Group dans une analyse récente.

Celle-ci suggère, entre autres, de normaliser les lois qui régissent ces régions tribales, soumises à un statut particulier, et d'y réinstaurer les institutions de l'État.

Mais tous ces efforts risquent de dérailler le jour où les troupes étrangères quitteront l'Afghanistan, ouvrant un nouveau champ de possibilités aux talibans des deux côtés de la frontière.