Dans les capsules d'information sexuelle qu'elle diffuse sur YouTube, Alyaa Gad aborde des sujets aussi délicats que la forme et la grandeur du pénis, l'excision, les périls de la nuit de noces, la masturbation et l'impuissance.

Depuis cinq ans, cette docteure d'origine égyptienne établie en Suisse tente de combler l'ignorance abyssale de ses compatriotes en matière de santé sexuelle. Dans une de ses vidéos, elle va jusqu'à exposer à l'écran les différents types de sécrétions vaginales, question de rassurer les musulmanes qui craignent que celles-ci ne soient incompatibles avec la prière...

Sa chaîne d'information médicale joint 120 000 personnes et a généré 30 millions de clics en Égypte, mais aussi en Arabie saoudite, au Maroc et en Irak. Mais son succès restait jusqu'à récemment confiné à son public cible: les sociétés arabes engluées dans les tabous et les interdits.

En lançant #whywerejectimplementingsharia (pourquoi nous rejetons l'application de la charia) sur Twitter, il y a trois semaines, elle a fait une entrée remarquée dans l'univers des grands médias occidentaux.

«Pourquoi certains Arabes rejettent l'interprétation stricte de la charia», ou la loi islamique, titre la BBC dans un article publié le 24 novembre et consacré en grande partie au débat que lance Alyaa Gad. Quelques jours plus tard, c'est au tour du célèbre essayiste Thomas Friedman de s'intéresser au phénomène dans sa chronique du New York Times. Dans les deux cas, l'initiative de Mme Gad est présentée comme le signe d'une rupture avec le fanatisme religieux chez les musulmans. Un courant qui devient de plus en plus populaire à mesure que les tueurs du groupe État islamique sèment la terreur.

«Et si Daesh (nom arabe de l'EI) éloignait les musulmans de l'islam?», se demandait Le Nouvel Observateur, cette semaine.

Jointe au téléphone, Alyaa Gad admet que le lien entre la discussion qu'elle a lancée dans la twittosphère et la campagne terroriste de l'EI est, à tout le moins, indirect. En réalité, elle avait voulu répondre à un collègue égyptien proche des Frères musulmans, qui avait lancé une campagne de dénigrement à son sujet. Il l'avait accusée de tous les maux: de faire la promotion de la masturbation, de recevoir des fonds de l'étranger et, le pire de tous, d'être une adepte de l'athéisme.

«J'ai lancé mon hashtag pour lui répondre», reconnaît Alyaa Gad. Mais la conversation a rapidement dépassé ses démêlés avec son collègue islamiste. Son mot-clic a fait quelque 5000 entrées en 24 heures. «En adhérant à la charia, on adhère à des lois inhumaines», dénonce une twitteuse saoudienne. «Il n'y a pas un seul exemple positif où la charia contribuerait à la justice et à l'égalité», renchérit un gazouilleur.

Mais l'histoire d'Alyaa Gad, qui se définit elle-même comme une agnostique adhérant aux valeurs démocratiques occidentales, est-elle vraiment représentative? S'agit-il d'un micro-phénomène ou d'une tendance lourde?

La principale intéressée affirme que tous les jours elle croise dans ses échanges virtuels de jeunes musulmans de plus en plus critiques face aux dictats des lois religieuses. Ils commencent par lui poser des questions sur leur santé. Puis, ils deviennent amis. Et au détour d'une conversation, il y a ce constat: «La loi de la charia ne peut pas être appliquée dans un monde civilisé.»

Alyaa Gad est convaincue que le fanatisme religieux décline à la vitesse grand V, grâce à l'internet. Et que les dérives radicales nées dans la foulée des soulèvements arabes y ont largement contribué. Aujourd'hui, des musulmans abandonnent ouvertement leur religion et s'affichent tout aussi ouvertement comme athées - ce qui était impensable il n'y a pas si longtemps. Exemple, l'émission Black Ducks (canards noirs), diffusée sur YouTube à l'intention d'Arabes en rupture de ban avec l'islam.

Difficile à estimer sur le plan quantitatif, ce mouvement de rejet religieux se présente sous trois formes, explique le politologue québécois Sami Aoun. Il y a les penseurs, dont Ahmad Atif Ahmad, professeur à l'Université de la Californie et auteur d'un livre sur La fatigue de la charia. Cet essai a fait grand bruit et renforcé l'opposition aux lois coraniques.

Et puis, il y a aussi les grandes institutions religieuses, telles que l'université Al Azhar, au Caire, qui se distancient de plus en plus des formes les plus radicales de l'islam. Et puis, il y a cette vague d'athéisme qui se répand sur les réseaux sociaux.

Comme le résume Sami Aoun, de plus en plus de gens se disent: est-ce que Dieu mérite tout ce sang versé en son nom?

Bien sûr, ce mouvement reste très embryonnaire. Les discours les plus critiques rejoignent surtout les élites intellectuelles du monde arabomusulman. Et le djihad exerce encore son attrait autant au Moyen-Orient qu'en Occident.

Mais quelque chose est en train de bouger. Et les images de fous de Dieu qui violent, pillent et décapitent sont aussi en train de créer un effet boomerang. Ce n'est pas rien. C'est peut-être même le début de quelque chose d'important.