Attention: la scène qui suit ne s'est pas déroulée à Berlin dans les années 30, mais en novembre 2012, à Budapest.

Troublé par le conflit entre Israël et la bande de Gaza, le député Marton Gyongyosi a sommé le gouvernement de recenser tous ses compatriotes d'ascendance juive, autant au Parlement que dans la fonction publique hongroise. C'était, pour lui, une question de «sécurité nationale».

Condamné pour ses propos, Marton Gyongyosi a dû mettre un bémol à sa demande. Mais moins d'un an et demi plus tard, son parti d'extrême droite, Jobbik, vient de remporter 21% des votes aux législatives de dimanche - le meilleur score électoral de son histoire.

Dirigé par un jeune homme bardé de diplômes, Gabor Vona, ce parti est en pleine campagne de «dédiabolisation». Mais Jobbik a eu beau démanteler ses milices anti-tsiganes, son jupon fasciste dépasse toujours.

Il y a tout juste six mois, ses militants ont dressé une statue de l'amiral Miklos Horthy, le dirigeant hongrois responsable de la déportation de plus 400 000 Juifs hongrois vers Auschwitz, devant une église de la capitale.

Mais la principale cible des discours haineux de Jobbik, ce sont les Roms. Le parti veut introduire dans le droit pénal une catégorie de crimes associés typiquement à cette minorité! Quant aux coupables, ils devraient être enfermés dans des centres de détention destinés spécifiquement aux Roms «déviants».

Jobbik avait récolté un peu plus de 16% des voix aux élections de 2010. Avec la poussée de 2014, son chef se targue de diriger le parti d'extrême droite le plus puissant en Europe.

Son succès électoral s'inscrit dans un mouvement plus large, qui favorise la montée des partis «anti-système» dans plusieurs pays européens, souligne Frédéric Mérand, politologue et spécialiste des questions européennes à l'Université de Montréal.

Du Danemark à la France en passant par la Suisse, l'Autriche et les Pays-Bas, les partis d'extrême droite - mais parfois aussi, comme c'est le cas en Grèce, d'extrême gauche - carburent au rejet des immigrants, à l'antisémitisme ou à l'islamophobie, au rejet des élites traditionnelles et au sentiment anti-européen. Un créneau idéologique qui leur assure de 20 à 25% de votes.

La montée de ces partis est inquiétante, ne serait-ce que parce qu'elle pousse les partis de la droite traditionnelle vers les extrêmes, souligne Frédéric Mérand.

Ainsi, en Hongrie, le gouvernement de Viktor Orban envisage de rétablir la peine de mort, sous la pression de Jobbik. Il y a deux ans, quatre auteurs hongrois antisémites de l'époque ont eu droit à une réhabilitation en règle, au point où leurs livres ont été réinscrits dans les programmes scolaires. Dans un pays dont la population juive a été décimée durant l'Holocauste, ces symboles pèsent lourd.

Mais Viktor Orban n'a pas besoin de Jobbik pour pousser son pays vers la droite. Depuis son élection en 2010, il a fait dériver la Hongrie vers un régime qui s'apparente à la «démocratie dirigée» de Vladimir Poutine.

Fort de ses deux tiers de sièges au Parlement, son parti a fait passer une série de changements constitutionnels qui ont peu à peu rétréci le champ des libertés et éliminé tout ce que la Hongrie pouvait compter de contre-pouvoirs.

Un tribunal juge une loi inconstitutionnelle? Vite, on réécrit la Constitution. Un juge n'est pas d'accord? On en nomme un autre. La loi électorale est défavorable au parti au pouvoir? Vite, on redessine la loi, de façon à assurer la réélection de Fidesz, le parti de Victor Orban.

Depuis 2010, le gouvernement de Viktor Orban a fait inscrire Dieu dans la Constitution, il a adopté une protection constitutionnelle pour le foetus, fermé les médias à l'opposition, pris contrôle des tribunaux et fait vibrer la corde de la fierté nationale en évoquant la «grande Hongrie» de la fin du XIXe siècle.

En quatre ans, Viktor Orban a «verrouillé le système politique à double tour pour museler l'opposition», écrit Dominique Reynié, auteur du livre Les nouveaux populismes.

Tout ça se passe, rappelons-le, dans un pays membre de l'Union européenne, qui est impuissante contre cette dérive.

Et le pire, c'est que ça marche. En réécrivant les lois électorales et en muselant les médias, Viktor Orban a réussi à préserver sa majorité des deux tiers. Mais même sans trafiquer ces lois, il aurait gagné quand même, estime le journaliste hongrois Attila Mong.

Et s'il réussit à préserver ses appuis, c'est un peu, beaucoup, la faute de l'opposition de gauche, qui n'a pas réussi à se renouveler en quatre ans. «Ce sont les mêmes visages, complètement discrédités», déplore Attila Mong.

Ce dernier décrit le gouvernement Orban comme un régime «semi-autoritaire» qui a réussi à stabiliser un pays au bord de la faillite. Un pays où «les trois quarts de la population sont déçus du capitalisme, qui ne leur a pas apporté la prospérité promise».

Beau terreau pour que le gouvernement réélu pousse la Hongrie de plus en plus vers la droite, avec le coup de pouce de Jobbik.