Les Tunisiens ont pu pousser un immense soupir de soulagement, dimanche. Après trois ans de convulsions, d'attentats et de psychodrames politiques, leur pays s'est finalement doté d'une nouvelle Constitution qui permet d'envisager l'avenir avec optimisme. Et qui fait mentir les prophètes de malheur convaincus que tous les «Printemps arabes» sont forcément condamnés à l'échec.

Le succès de la nouvelle loi fondamentale de la Tunisie est d'abord quantitatif: le texte a été approuvé par 200 des 216 membres de l'Assemblée nationale constituante, qui représente pourtant des courants politiques diamétralement opposés, de la gauche à la droite, en passant par les islamistes.

Ce vote à la quasi-unanimité montre bien que tous ces gens peuvent s'entendre sur des questions aussi fondamentales que la place de la religion, l'égalité entre les sexes et les libertés individuelles. Et ça, c'est énorme.

Sur le plan qualitatif, la Constitution établit des principes qui ancrent la Tunisie dans le camp de la modernité et de la démocratie. Elle décrète que l'islam est la religion nationale du pays, mais ne fait aucune référence à la charia. Tout en affirmant les principes d'égalité, de liberté d'expression et d'égalité entre hommes et femmes.

Le texte voté dimanche a fait l'objet de débats virulents jusqu'à la fin. Il y a eu des tractations qui, de loin, peuvent paraître surréalistes. La Constitution doit-elle interdire les accusations d'apostasie, ces anathèmes haineux par lesquels les islamistes dénoncent ceux qui auraient renoncé à leur foi? L'État doit-il prohiber les atteintes au sacré? Arbitrages délicats dans le champ miné de la foi.

Les compromis trouvés ne manquent pas de contradictions. Selon la nouvelle Constitution, l'État devra protéger à la fois la religion et la liberté de conscience - ce qui laisse entrevoir de beaux exercices d'équilibrisme en cas de collision frontale entre les deux.

Pour l'analyste Sélim Kharrat, cité par le site Médiapart, incapables d'atteindre un véritable compromis, les députés tunisiens «ont construit un puzzle pour que chacun puisse donner satisfaction à son camp».

N'empêche: même bancale, la Constitution a le grand mérite d'avoir été signée. Et avec un taux d'approbation aussi massif, sa légitimité est incontestable. Au fil du processus, les islamistes d'Ennahda ont accepté de céder le pouvoir. Ça aussi, ce n'est pas rien. Prochaine étape: des élections législatives avant la fin de l'année.

«On a l'impression que la Tunisie reprend le chemin d'une transition apaisée, que l'ère des tourments est terminée», se réjouit Amna Guellali, responsable de Human Rights Watch à Tunis. Selon elle, l'accord conclu a «permis de ménager les sensibilités de chacun et de trouver une sortie honorable pour tous».

Surtout, pour la première fois depuis la chute du régime Ben Ali, il y a trois ans, les Tunisiens ont un scénario pour les mois à venir. «L'avenir est maintenant lisible», dit Amna Guellali. Et un avenir lisible, cela signifie la possibilité de nouveaux investissements, un retour possible des touristes. La révolution déclenchée par un vendeur ambulant excédé par sa vie sans horizons pourra peut-être, enfin, tenir ses promesses économiques.

Quand j'ai voyagé en Tunisie, au printemps dernier, j'ai trouvé un pays déchiré par des tensions extrêmes, soumis aux pressions des islamistes les plus radicaux, désespéré par l'inflation et le chômage. La nouvelle Constitution ne fait pas disparaître ces problèmes d'un seul coup de baguette magique. Mais dans ce pays réconcilié, l'espoir est de nouveau possible.

C'est tout un contraste avec la Libye, qui se désagrège dans la violence. Et avec l'Égypte, où les islamistes ont imposé leur Constitution de force, avant d'être évincés du pouvoir par un coup d'État sanglant. Hier, l'état-major de l'armée égyptienne s'est dit favorable à la candidature du maréchal Abdel Fattah al-Sissi à la prochaine présidentielle. Autant dire que l'armée compte garder le pouvoir. Et que pour la démocratie, il faudra, hélas, repasser.

Premier pays à avoir donné le signal des révoltes arabes, la Tunisie est aussi la première à montrer que ces soulèvements peuvent produire autre chose que du sang et du chaos. On croise les doigts pour la suite des choses. Et pour ses voisins.