Le hasard fait drôlement les choses. Lundi, le ministre français de l'Éducation, Vincent Peillon, a publié une charte de la laïcité qui devra être affichée dans toutes les écoles publiques du pays.

Cette charte n'apporte rien de nouveau, mais rappelle qu'en France, l'État n'a pas de religion, que l'école est laïque, que cette laïcité permet la liberté d'expression, interdit le port de signes religieux ostentatoires et ne permet pas aux élèves de se soustraire à un enseignement à cause de leurs croyances.

Puis, mardi, le gouvernement du Québec y allait de sa propre charte, qui prétend, elle aussi, assurer la neutralité religieuse de l'État.

Cette double annonce, quasi simultanée, renforce l'impression que le Québec et la France se retrouvent dans le même bateau, ramant de concert contre les forces obscures du multiculturalisme.

Pourtant, il y a des différences fondamentales entre le «modèle français» et le «modèle québécois», malgré leurs évidentes similitudes. C'est un peu comme ces faux amis linguistiques: des mots qui ont la même sonorité, mais qui ne signifient pas tout à fait la même chose.

Ces différences ont des origines historiques. Les racines de la laïcité française remontent au début du XXe siècle, quand il s'agissait de sortir l'Église catholique des affaires de l'État. Depuis la loi de 1905, l'État français est tenu à la plus stricte neutralité. Pour protéger les croyances de chacun, il ne se mêle pas de religion, un point c'est tout. Un crucifix à l'Assemblée nationale? En France, c'est impensable.

Avec le temps, la société française s'est diversifiée. La laïcité construite dans un premier temps contre l'Église catholique a changé, pour ainsi dire, de cible. Des représentants de l'État, on est passé aux citoyens. D'où la loi interdisant aux élèves des écoles publiques d'afficher des signes religieux ostentatoires. Puis celle chassant le voile intégral de tout espace public.

Le Québec, lui, veut faire l'économie de la première étape: celle de la véritable laïcité d'un État affranchi de toutes les religions. Au nom de "valeurs" et d'un "patrimoine" québécois, on préserve la place d'un symbole religieux chrétien au coeur même de l'État: l'Assemblée nationale.

Cette laïcité à géométrie variable, qui s'accroche dans ses crucifix, est aux antipodes du modèle français, qui a le mérite d'être clair - sur ce point au moins. La France, «fille aînée de l'Église», a coupé le cordon ombilical. Pas le Québec, qui choisit d'imposer aux "autres" des contraintes auxquelles il s'empresse de se soustraire.

Ce qui n'empêche pas la France d'avoir ses propres zones de confusion. Plusieurs mini-crises reliées à la laïcité - mais touchant surtout la place de l'islam dans l'espace public - soulèvent la même question: quelles sont au juste les frontières de l'État? Qui doit tomber sous le coup de l'obligation de laïcité, et qui peut y échapper?

En mars, la Cour de cassation a tranché: l'employée d'une crèche peut porter le voile, même si cette crèche est financée par des fonds publics. Dans une autre décision, l'employée d'une caisse primaire d'assurance maladie a été, elle, forcée d'enlever son voile, parce qu'elle rend un service d'État.

Le Défenseur des droits, équivalent de notre Commission des droits de la personne, a demandé au Conseil d'État de mieux préciser ces frontières. En attendant, cette affaire, qui a fait grand bruit, n'a pas échappé au ministre Bernard Drainville, qui a visé spécifiquement les monitrices des garderies avec sa charte - allant ainsi beaucoup plus loin, ici, que ne l'a fait la France...

Finalement, le gouvernement Marois veut à la fois mener le Québec plus loin que la France, sur le plan des restrictions imposées aux «autres.» Et moins loin sur le plan des restrictions que la «majorité - québécoise - catholique» s'impose à elle-même. On a pris, dans le modèle français, ce qui fait notre affaire. Et on jette le reste. Ainsi traficotée, la laïcité à la québécoise n'est plus un outil de coexistence harmonieuse, mais un outil d'exclusion. Une aberration.

Mais qu'on le suive à la lettre ou pas, le modèle français est-il si bon à imiter? Selon un récent sondage, 60% des Français estiment que l'influence et la visibilité des musulmans sont trop importantes en France. Pas loin de la moitié voit dans l'islam une menace. Piégés dans leurs quartiers-ghettos, les jeunes musulmans se heurtent au mur de l'exclusion et du chômage. Lequel alimente, à son tour, leur radicalisation.

Les débats sur la place du voile islamique sont récurrents. Cet été, la France a remis ça, avec l'idée de l'interdire dans les universités.

Le débat n'est jamais clos. Et les tensions sociales s'accentuent, au lieu de diminuer. Est-ce cela que le Québec veut?