Un jour de novembre dernier, Erich Weingartner a tenté un geste qui lui paraissait terriblement audacieux: il a hélé un taxi dans une rue de Pyongyang.

À sa grande surprise, une voiture s'est arrêtée pour le cueillir et le conduire à son hôtel. Encore plus révolutionnaire: le chauffeur a accepté d'être réglé en dollars bien verts, et il lui a remis la monnaie dans la même devise. Choses impensables lors de son voyage précédent, deux ans plus tôt.

Erich Weingartner est un consultant canadien spécialisé en aide humanitaire. Il a vécu deux ans en Corée du Nord et y a fait une douzaine de voyages au fil des ans. L'automne dernier, il a visité un pays transformé.

«À Pyongyang, il y a plus de magasins, plus de restaurants, on a construit de nouvelles lignes de tramway et d'autobus. Dans les rues de la ville, il y a plus de trafic que je n'en ai jamais vu», se souvient ce rare habitué du «royaume ermite».

Erich Weingartner a vu des magasins regorgeant de marchandises, surtout ceux qui sont destinés aux élites. De nouveaux immeubles résidentiels ont poussé dans la capitale. Il a aussi vu de nombreux Nord-Coréens envoyer des messages textes sur leurs cellulaires, signe d'un spectaculaire bond technologique.

«En surface, Pyongyang est étonnamment prospère», dit le consultant, qui est bien conscient que cette nouvelle richesse profite aux Nord-Coréens les plus privilégiés. Et qu'en dehors de la capitale, il y a toujours plein de gens qui souffrent de la faim.

Mais justement: en quittant la Corée du Nord, Erich Weingartner n'a pu s'empêcher de se demander à quoi avaient bien pu servir les sanctions économiques décrétées contre le régime de Pyongyang en guise de représailles pour ses coups d'esbroufe nucléaire. «Aujourd'hui, les Nord-Coréens paraissent plus confiants que jamais. Les sanctions ne semblent pas fonctionner», constate-t-il.

Est-ce par excès de confiance que la Corée du Nord a recommencé à défier la planète en procédant à de nouveaux essais nucléaires, et en menaçant la Corée du Sud d'une attaque qui la plongerait dans un «océan de flammes» ?

Chose certaine, le scénario n'est pas nouveau. Depuis les premiers essais nucléaires nord-coréens, en 2006, c'est un peu comme assister à une nouvelle version d'un film familier.

Le pays le plus hermétique de la planète commence par rappeler au monde qu'il pourrait devenir une puissance nucléaire. Puis, il profite des exercices militaires rituels de son voisin pour proférer des menaces. Il fléchit ses muscles et ses cordes vocales, s'attire de nouvelles réprimandes internationales, puis se calme... jusqu'à la prochaine fois.

Les analystes s'entendent pour dire que ces gesticulations relèvent de la diplomatie, que ce ne sont pas de véritables actes de guerre. Pyongyang estime que c'est la seule manière dont il dispose pour attirer l'attentionde Washington. Le cas échéant, ses dirigeants se servent aussi de ces menaces, et des tensions qui suivent, pour apaiser leurs conflits internes.

Ce nouvel épisode n'est pas différent des précédents par sa nature. Mais ilest infiniment plus intense. Et il survient dans un contexte particulier.

La Corée du Nord a un nouveau leader, Kim Jong-un, qui cherche à imposer sa voix. Il en profite aussi pour tester la nouvelle présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye, qui s'est dite prête à adopter une politique de réconciliation avec le Nord. Vraiment?

En même temps, en un signal contradictoire, Pyongyang vient de nommer un nouveau premier ministre, Pak Pong-ju, considéré comme un réformateur.

Autre nouveauté: des indices laissent penser que la Corée du Nord a fait du progrès en matière nucléaire, et qu'elle utilise maintenant de l'uranium enrichi, au lieu du plutonium, ce qui la rend plus menaçante.

Les choses changent. Mais sur le fond, «c'est le même jeu, joué par de nouveaux acteurs», écrit l'ancien journaliste de CBC et documentariste Patrick Brown.

Pourquoi répète-t-on à l'infini ce même scénario? demande-t-il. «Parce qu'aucun des acteurs ne sait comment finir la guerre.» Et c'est peut-être là le coeur du problème. La Corée du Sud craint la réunification avec son turbulent voisin comme la peste. Le régime nord-coréen ne cherche qu'une chose: survivre à tout prix. La Chine considère le pays comme sa chasse gardée. Et le reste de la planète espère que la Corée du Nord continuera à japper, mais ne mordra pas.

Ce jeu tourne en rond. Mais il n'en reste pas moins dangereux. Car à mesure que le ton monte, le risque d'un dérapage accidentel augmente, lui aussi.

s Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca