Le 18 juillet 2012. Un kamikaze se fait exploser à l'aéroport de Bourgas, dans le sud de la Bulgarie. L'attentat vise un autobus de touristes israéliens, qui ont un faible pour cette station balnéaire du bord de la mer Noire. Bilan de l'attentat: sept morts et des dizaines de blessés. Une enquête bulgare a conclu, cette semaine, que l'attentat avait été orchestré par le Hezbollah libanais. Et qu'un Canadien d'origine libanaise faisait partie du commando.

Le 16 janvier 2013. Des terroristes liés à Al-Qaïda attaquent un site gazier à In Amenas, aux confins de l'Algérie. Une prise d'otages sanglante, qui fait une quarantaine de victimes, sans compter les ravisseurs. Cette fois encore, un ressortissant canadien serait au coeur de l'opération.

Deux attaques terroristes, deux Canadiens: il n'en fallait pas plus pour amener le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, à jongler publiquement avec l'idée de punir les Canadiens reconnus coupables d'actes terroristes, en leur retirant leur passeport. Un projet de loi privé prévoyant la révocation de la citoyenneté en cas d'acte de guerre contre un militaire canadien a déjà été présenté aux Communes, l'été dernier. Il doit être étudié au printemps. Il suffirait d'élargir sa portée, et le tour serait joué, avance le ministre Kenney.

La menace ne viserait que des Canadiens nés à l'étranger et détenteurs d'une double citoyenneté. Les citoyens déchus ne deviendraient donc pas des apatrides, mais retomberaient sous la juridiction exclusive du pays de leur naissance.

Le cas échéant, le Canada ne serait pas le seul pays à brandir la menace de la révocation de la citoyenneté comme arme dans la lutte contre le terrorisme. La Grande-Bretagne a adopté une politique semblable, dans la foulée des attentats de 2005 dans le métro de Londres. Mais ça ne rend la démarche ni plus efficace ni plus acceptable. Ce n'est pas parce que d'autres le font que nous devons le faire aussi...

Le projet évoqué par le ministre pose plus de problèmes qu'il n'en résoudrait. Et le premier de ces problèmes, c'est l'iniquité. Par définition, tous les citoyens d'un pays sont égaux devant la loi. Or, la révocation de citoyenneté ne viserait pas également tous les détenteurs du passeport canadien. Elle les diviserait en deux catégories. Ceux qui sont nés ailleurs et peuvent dans certains cas être déchus de leurs droits. Et ceux qui sont nés canadiens et le demeureront contre vents et marées, quand bien même ils se livreraient aux pires crimes, ici ou ailleurs.

La révocation de citoyenneté pour crime de terrorisme ouvre aussi une brèche: si l'on retire le passeport aux terroristes, pourquoi pas aux tueurs en série? Ou aux violeurs d'enfants? Eux non plus ne font pas vraiment honneur à notre pays. Une fois qu'on a accepté le principe d'une citoyenneté à géométrie variable, pourquoi s'arrêter en chemin? Et d'ailleurs, comment définirait-on le terrorisme? Le fait d'avoir suivi un entraînement militaire en Afghanistan suffirait-il pour rendre le passeport canadien caduc? Ou faudrait-il avoir trempé dans une conspiration visant à commettre un attentat? Qui tracerait ces limites? Et devant quel tribunal?

Ce qui m'amène à un autre problème soulevé par le scénario du ministre Kenney: celui de la justice. Imaginons qu'un Canado-Iranien est accusé de vouloir semer la terreur en Iran. Et qu'un tribunal iranien le juge coupable de ce crime. Se fiera-t-on à ce verdict pour se débarrasser de ce citoyen encombrant? Quel sort aurait attendu Maher Arar sous un tel régime? Si jamais la justice syrienne avait reconnu sa culpabilité dans un quelconque complot pour terrorisme, lui aurait-on retiré sa citoyenneté canadienne? Le passeport canadien deviendrait-il soluble dans le système judiciaire d'une dictature? Ou pas?

Le gouvernement conservateur a déjà révoqué la citoyenneté à des immigrants qui l'ont obtenue par la fraude. C'est de bonne guerre. Le passeport canadien n'est pas un droit, mais un privilège. Mais ceux qui l'ont obtenu légitimement doivent être traités équitablement, peu importe les crimes qu'ils auront la mauvaise idée de commettre au fil de leur vie. Et le Canada a tous les outils qu'il faut pour les juger selon ses propres lois.

Un quatrième argument joue contre le projet du ministre Kenney, et il relève plutôt du message que celui-ci diffuserait subtilement, si jamais il devait être adopté. Le juriste François Crépeau résume ça comme suit: «Au fond, ce que dit le ministre Kenney, c'est qu'un étranger, c'est dangereux. Et qu'il reste toujours un étranger!»