«Cette ville a déjà été la capitale mondiale du camion, et croyez-moi, elle le redeviendra!»

À 63 ans, Marcie Flax a la peau ravagée de ceux qui ont trop fumé, pendant trop longtemps. C'est d'ailleurs pour griller une cigarette qu'elle grelotte dehors, en ce samedi frisquet, entre deux séances d'appels destinés à faire sortir le vote en faveur de Barack Obama.

Nous sommes aux bureaux des Travailleurs unis de l'automobile de Springfield, une petite ville de l'Ohio, à 70 kilomètres à l'ouest de Columbus. En 2011, Springfield a décroché le titre peu enviable de la ville la plus malheureuse des États-Unis, décerné par Gallup. Dans les années 80, Newsweek l'avait pourtant décrite comme «une ville de rêve.» Mais c'était avant que le déclin industriel ne s'abatte sur le Midwest américain. Avant, aussi, qu'une nouvelle crise ne terrasse le secteur de l'auto, dévastant la base économique de Springfield.

Marcia Flax travaille depuis 34 ans pour le fabricant de camions Navistar. Jadis, 7000 travailleurs y gagnaient un salaire suffisant pour faire vivre une famille. Mais les derniers 15 ans ont été un cauchemar. Marcia Flax a connu deux mises à pied et six mois de grève. «Je suis passée à un cheveu de perdre ma maison!»

Avec ses 800 employés, Navistar n'était plus que l'ombre d'elle-même. Avec des effets en cascade sur toute la ville.

Mais depuis peu, les choses changent. «Nous n'avons pas eu d'embauche pendant une décennie, et depuis un an, 160 ouvriers ont été rappelés», dit le président du syndicat local, Jason Barlow.

Mieux: Navistar vient d'annoncer le déménagement d'une partie de sa production de Garland, au Texas, vers Springfield. «C'est la meilleure nouvelle depuis 30 ans. Nous avons traversé des temps difficiles, mais c'est fini!», exulte Marcia Flax.

Les habitants de Springfield ne partagent pas tous son optimisme. Les nouveaux employeurs de Springfield, comme les compagnies d'assurances Code Bleu et Assurent, paient à peine le salaire minimum. Il faut souvent combiner deux emplois pour boucler les fins de mois.

Mais plusieurs entrevoient une lueur rose à l'horizon. Car on embauche aussi chez Honda, qui agrandit son usine d'Anna, à quelques dizaines de kilomètres de Springfield. Plus loin, il y a de nouveaux investissements chez GM, à Lordstown. Et chez Jeep, à Toledo. Les fournisseurs de pièces de Springfield voient poindre la fin du marasme.

Déjà, dans le comté de Clark, qui abrite Springfield, le taux de chômage a baissé à 6,9%, un point sous la moyenne nationale.

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«Springfield, la ville la plus malheureuse des États-Unis? Je ne comprends pas!» Le maire de Springfield, Warren Copeland, est fatigué de se faire poser des questions sur ce fameux sondage Gallup dont le résultat lui paraît injustifié.

Oui, Springfield a décliné, mais ni plus ni moins que les autres villes du Midwest.

Professeur d'éthique à l'Université Wittenberg, l'homme de 69 ans me donne rendez-vous dans un McDonald's à la sortie de l'autoroute. «Notre principal problème, dit-il, c'est la main-d'oeuvre. Les diplômés quittent Springfield, parce qu'il n'y a pas d'emplois. Et les compagnies ne viennent pas s'installer chez nous, parce qu'il n'y a pas de diplômés.» En 20 ans, la population de Springfield est passée de 80 000 à 60 000 habitants.

Pendant notre tour guidé de la ville, Warren Copeland me fait traverser le quartier pauvre de Lincoln Park et le quartier Wittenberg, où vivent des Noirs de classe moyenne. Les affiches pro-Obama y dominent. Dans le quartier huppé de Roscommon, c'est «Romneyland.»

Dans le centre-ville désert, un bâtiment de brique rouge, qui abritait autrefois une grande imprimerie, est abandonné depuis des lustres. Son enseigne se trouve au musée local, qui témoigne de la grandeur passée de Springfield.

Le maire Copeland est imperméable à la nostalgie de cette époque révolue. Car Springfield est en train de relever la tête. Et ce démocrate convaincu y voit l'effet des politiques d'Obama, dont le fameux plan de sauvetage de l'industrie automobile.

Mais ce lien entre la timide reprise de Springfield et les décisions de Washington ne fait pas l'unanimité.

«L'économie s'améliore, c'est vrai, mais c'est grâce au dynamisme de la ville et de la chambre de commerce», assure David Black, un prédicateur de 31 ans croisé au café Un Mundo, unique bulle de vie du centre-ville, pendant le week-end.

David Black va voter pour Mitt Romney: «Il a l'expérience du secteur privé, il est du côté des petites entreprises, il va tenir l'État à l'écart.»

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Springfield a voté démocrate en 2000, républicain en 2004. C'est une «swing town» dans un «swing state.» Vendredi, Barack Obama a marqué une première, en devenant le premier président en poste à visiter la ville. C'est dire comment, en Ohio, chaque vote compte. Et chacun de ces votes dépend, en bonne partie, de l'interprétation que l'on fait de la timide remontée économique constatée depuis un an.