Elles s'appellent Maria, Nadejda et Ekaterina. Elles sont jolies, rigolotes, articulées et elles ont du front tout le tour de la tête. Trois jeunes femmes courageuses qui sauront, demain, si elles devront passer leurs trois prochaines années en prison.

Leur crime: avoir participé à une performance punk dans une cathédrale de Moscou. Une prestation qui a duré moins d'une minute et durant laquelle elles ont prié la Vierge Marie de débarrasser la Russie de son président, Vladimir Poutine.

C'était, de toute évidence, un geste politique. Mais la justice russe accuse les trois performeuses de Pussy Riot de «houliganisme» et d'acte haineux contre tous les chrétiens orthodoxes de la Russie.

Mené à toute vapeur, le procès a donné lieu à des scènes surréalistes. On y a discuté, par exemple, du sens du mot «épaule», pour savoir si les jeunes femmes avaient contrevenu aux exigences vestimentaires du lieu saint. Et on a même entendu une avocate marmonner que «le féminisme est un péché mortel.»

Mais au fond, tout le procès tournait autour des intentions des jeunes femmes, qui assurent avoir fait un geste politique, tandis que l'État les traite en criminelles.

Ça montre bien qu'on est loin des procès staliniens où il fallait être suicidaire pour se réclamer d'un acte politique! Mais entre la justice stalinienne et la justice tout court, il y a un grand fossé, que la Russie n'a pas encore traversé...

Car ce procès bâclé en dit long sur le système judiciaire au pays de Vladimir Poutine. Sa principale faiblesse: l'absence de la moindre indépendance judiciaire. En Russie, policiers, procureurs et juges ne cherchent pas à établir la vérité. Mais à flatter le pouvoir dans le sens du poil.

Tous ces gens sont évalués en fonction du nombre d'accusés qu'ils amènent devant les tribunaux, explique Freiderike Behr, spécialiste de la Russie à Amnistie Internationale. En multipliant les condamnations, juges et procureurs donnent l'impression de travailler fort contre le crime.

La semaine dernière, mon collègue Frédérick Lavoie publiait un chiffre effarant: en Russie, à peine 0,8% des accusés sont acquittés! Corollaire: plus de 99% sont reconnus coupables.

«La présomption d'innocence n'existe pas en Russie», résume Freiderike Behr. Ces dernières années, le pays a tenté de réformer son système judiciaire. Les conditions de détention se sont améliorées. Mais pour l'indépendance des juges, il faudra repasser.

Le procès de Pussy Riot n'est donc pas le premier à contrevenir aux règles élémentaires de la justice. Parmi les cas célèbres, l'oligarque Mikhaïl Khodorkovski avait lui aussi fait face à une justice qui avait décidé de son sort bien avant de l'avoir jugé. Il croupit toujours dans une colonie pénitentiaire en Sibérie.

Mais il est plus facile d'émouvoir l'opinion publique avec l'injustice subie par trois jeunes femmes qu'avec les malheurs d'un millionnaire... Plus d'une centaine d'artistes russes sont intervenus en leur faveur. Des personnalités de tous les milieux, au-delà des cercles habituels de l'opposition anti-Poutine, se sont élevées contre ce simulacre de justice.

Quelques voix célèbres ont aussi appuyé le régime. Dont celle du cinéaste Nikita Mikhalkov. Et l'opinion russe reste très divisée: 50% des Russes veulent que les trois femmes soient libérées. Reste les autres.

N'empêche: Freiderike Behr ne se souvient pas avoir jamais vu une telle mobilisation anti-Poutine. Et puis, la vague a largement débordé les frontières du pays. De Madonna à Bjork, on ne compte plus les voix qui demandent à Moscou de laisser Maria, Ekaterina et Nadejda tranquilles.

En une sorte d'effet boomerang, leur procès est en train de se transformer en un procès du système judiciaire russe. Et par conséquent, celui du président Poutine.

«C'est le procès de tout le système politique de la Fédération de Russie», a constaté l'une des accusées, Nadejda Tolokonnikova, dans sa déclaration de clôture.

Le président Poutine doit bien l'avoir compris, lui aussi.

Il préférera peut-être que la justice libère au plus vite ces trois performeuses, qui sont en train de se muter en héroïnes et martyres de son régime. Peut-être a-t-il envoyé quelques signaux à ce sujet à qui de droit? À suivre demain...