Bien sûr, il y a la télé, les journaux et les magazines. Mais pour comprendre les convulsions qui agitent notre planète, il y a aussi la littérature. Des livres qui racontent des histoires fictives, ou presque, et qui donnent un visage et une couleur à une actualité parfois trop abstraite.

Cette année, mes coups de coeur vont à cinq bouquins, dont les trois premiers ont été achetés par hasard, dans je ne sais plus quel aéroport. En première place de mon «top 5»: Au pays des hommes, de l'écrivain libyen Hisham Mattar. L'histoire se déroule dans la Libye de Mouammar Kadhafi, plus précisément en 1979, alors qu'un mouvement de protestation contre le dictateur soulève Tripoli avant d'être brutalement réprimé.

Le narrateur du récit s'appelle Suleiman et il n'a que 9 ans au moment où l'Histoire s'affole. Trop jeune pour décoder ce qui se passe autour de lui, il finira par être plongé, malgré lui, au coeur du tumulte qui emporte sa propre famille. À travers le regard du petit garçon, on voit se dessiner peu à peu un pays violent et torturé. Un pays hyper conservateur, aussi: la mère de Suleiman a été mariée de force après avoir été vue à la terrasse d'un café en compagnie d'un garçon, alors qu'elle n'était encore qu'une ado. Pour fuir sa vie, il lui arrive de se réfugier dans l'alcool, pourtant interdit dans ce pays musulman. Ces jours-là, Suleiman veille sur sa mère, qu'il croit atteinte d'une mystérieuse maladie.

Quand j'ai lu ce livre marqué par la nostalgie de l'innocence perdue, le régime de Kadhafi venait d'être déboulonné, plus de trois décennies après les événements qui servent de trame au roman. On émerge de cette lecture avec le sentiment de mieux comprendre à quel point ce régime despotique a ravagé la Libye. Et pourquoi les lendemains postrévolutionnaires sont aussi brutaux et chaotiques.

En deuxième place de mon petit palmarès personnel: Et les hommes sont venus, du journaliste britannique Chris Cleave (Little Bee, en anglais.) Il s'agit d'un roman à deux voix, raconté tantôt par une jeune Nigériane surnommée Petite Abeille, tantôt par Sarah, rédactrice d'un magazine britannique. Les destins de ces deux femmes que rien ne prédestinait à se rencontrer se croisent d'une façon inattendue et poignante, que je ne vous révélerai pas ici. Disons simplement que Petite Abeille finit par fuir son Nigeria natal pour Londres, où elle atterrit dans une prison pour réfugiés illégaux. Après quoi son chemin rencontre une nouvelle fois celui de Sarah.

Le livre juxtapose les tragédies personnelles des deux femmes: histoire de viol et de meurtre d'un côté, celle d'un suicide de l'autre. Entre les deux, le gouffre qui sépare l'Europe de l'Afrique. Les deux voix se croisent en alternance, levant peu à peu le voile sur un lourd secret. Drôle et cruel à la fois, le roman met en lumière les différences entre le Nord et le Sud. Mais il jette aussi un regard impitoyable sur les prisons dans lesquelles sont détenus les réfugiés clandestins en Grande-Bretagne. Au moment où le Canada s'apprête à envoyer des demandeurs d'asile dans des centres de détention, ça donne une idée des réalités humaines engendrées par ce genre de système...

Le numéro 3 de mon palmarès n'a pas été traduit en français. C'est un recueil de nouvelles intitulé You Know When the Men Are Gone. Tiens donc: ici aussi, le titre fait référence aux hommes. Cette fois, il s'agit de soldats américains qui combattent en Irak et en Afghanistan. L'auteure du recueil, Siobhan Fallon, est elle-même mariée avec un de ces militaires. Elle situe son livre dans la base militaire de Fort Hood, au Texas, où les épouses des soldats attendent - ou n'attendent pas, c'est selon - le retour de leurs guerriers.

Les nouvelles sont tissées finement et montrent le mur d'incompréhension qui se dresse peu à peu entre ceux qui vont au front et celles qu'ils laissent derrière. On en retient que les États-Unis n'ont pas fini de digérer le legs de ces deux guerres...

La quatrième place va à Publicité meurtrière, du Grec Petros Markaris. Cet auteur de polars a l'habitude de mettre en scène des tueurs en série poussés par des motifs politiques. En attendant que son dernier roman, où l'assassin traque les riches coupables d'évasion fiscale, soit traduit du grec, j'ai lu avec plaisir un bouquin où les victimes d'un cruel justicier gravitent dans le monde de la pub. Au-delà du suspense, ça donne une idée du climat dans lequel baigne ce pays en crise.

Et enfin, mon numéro 5 n'est pas vraiment un roman, et ce n'est pas non plus une découverte de l'année. J'ai acheté La Maison au citronnier il y a trois ou quatre ans, dans une librairie du quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. Ça reste, selon moi, le meilleur livre pour comprendre le conflit israélo-palestinien, à travers les regards de deux familles: celle de Bashir Khairi, Palestinien qui a dû quitter sa maison en 1948, et celle de Dalia Eshkenazi, Juive d'origine bulgare qui a emménagé dans cette même maison après avoir fui l'horreur de la Seconde Guerre mondiale, sans savoir à qui elle avait appartenu auparavant. Ni qui était l'homme qui a planté le citronnier dans la cour...

Ici, on n'est pas dans une oeuvre de fiction. L'auteur retrace l'histoire de ces familles qui finiront par se recroiser. De leur rencontre naîtra une amitié aussi difficile et torturée que le sont les relations entre ces deux peuples.

Là-dessus, je vous laisse jusqu'au mois d'août. Bonne lecture et bon été.