De petits corps ensanglantés, cordés dans leurs linceuls blancs, dans une morgue improvisée. On avait presque oublié la guerre que se livrent opposants et gouvernement en Syrie, depuis 15 mois, voilà que ce conflit resurgit sur nos écrans, avec des images d'une cruauté insoutenable.

Sur plus d'une centaine de morts, au moins 32 sont des enfants. Certains ont péri sous des tirs d'artillerie, d'autres ont été froidement exécutés. Cela s'est passé samedi, à Houla, près de la frontière du Liban.

Ces scènes atroces ont provoqué l'indignation. Même le Conseil de sécurité, réuni d'urgence hier, est parvenu pour une rare fois à parler d'une seule voix, avec une résolution qui condamne le massacre.

S'agirait-il donc d'un de ces moments charnières qui, par leur horreur, forcent le monde à réagir? Un peu comme le massacre de Srebrenica a contribué à clore la guerre qui a ensanglanté la Bosnie pendant trois ans?

J'ai beau chercher, je ne trouve aucune raison de voir, dans les événements de Houla, le moindre signe annonciateur d'une éventuelle embellie.

Quand on y regarde de plus près, la résolution même du Conseil de sécurité montre que la condamnation de ces assassinats de masse n'est pas si unanime que ça. Au lendemain de la tuerie, la France, l'Angleterre et les États-Unis l'ont rapidement attribuée à l'armée syrienne. Le gouvernement de Damas, lui, a blâmé des «terroristes.»

Mais les observateurs de l'ONU, présents en Syrie depuis la signature d'un cessez-le-feu, en avril, ont jugé que ces crimes portaient bel et bien la signature de Damas. L'armée syrienne a bombardé des quartiers résidentiels de Houla à l'artillerie lourde. Ce fait est incontestable.

Mais alors, qui étaient les tueurs qui ont exécuté des bambins à bout portant? Pour faire plaisir à la Russie, qui continue de soutenir la thèse de Damas, le Conseil de sécurité a coupé la poire en deux. Sa résolution se garde bien d'attribuer ces meurtres-là aux troupes du régime, tout en blâmant Damas pour les obus et les mortiers.

Comme si un doute pouvait vraiment subsister à ce sujet. Comme si les opposants armés présents à Houla avant l'offensive du régime, avaient profité de l'offensive gouvernementale pour assassiner leurs propres enfants. Cette thèse ne tient pas debout. Mais pour avoir la signature des Russes, il fallait faire comme si elle était crédible...

Pas que les opposants de Bachar al-Assad n'aient rien à se reprocher. Le dernier rapport de la Commission d'enquête internationale sur la Syrie distribue des blâmes aux deux parties. Mais prend bien la peine de mentionner que «les violations les plus graves appartiennent à l'armée et à la sécurité syriennes.»

Voici, en gros, leur modus operandi, selon ce rapport, publié la semaine dernière. Les forces syriennes encerclent et bombardent une ville ou un quartier contrôlé par l'opposition ou abritant des membres de l'Armée syrienne libre. Puis ils y font irruption et installent leurs tireurs d'élite sur les toits. Enfin, ils partent à la recherche d'opposants, maison par maison. «Dans certains cas, des familles entières ont été exécutées.» Le régime ne se gêne pas pour viser des enfants, souligne aussi ce rapport. Des garçons âgés d'aussi peu que 10 ans sont régulièrement arrêtés et torturés. D'autres sont tués par des snipers.

L'opposition, elle, est de plus en plus militarisée. Le rapport lui reproche d'exécuter de façon sommaire soldats et collaborateurs du régime, et de recourir aux kidnappings, y compris comme moyen de financement. Mais l'assassinat de civils et d'enfants dans les quartiers qu'elle contrôle, ce n'est pas sa tasse de thé...

Mais une fois qu'on a dit ça, on fait quoi? Tant que la Russie et la Chine soutiennent Damas, le Conseil de sécurité est condamné, au mieux, à des résolutions édulcorées, voire à pas de résolutions du tout. La population syrienne reste divisée, le risque d'un scénario à l'irakienne refroidit les ardeurs de ceux qui, en d'autres temps et en d'autres lieux, auraient pu envisager l'option d'une intervention militaire étrangère. Et une récente série d'attentats-suicide laisse penser que ce scénario-là a peut-être déjà commencé à se mettre en place...

Finalement, ce qui s'est passé à Houla, ce week-end, n'aura peut-être servi qu'à une chose: faire voler en éclats un cessez-le-feu fragile, qui n'avait fait qu'apaiser les hostilités, sans les arrêter.

Je vous laisse sur cette question poignante, lancé par Mulham al-Jundi, un opposant Syrien que je suis sur Twitter depuis plusieurs mois. «Ça se passe sur terre, maintenant! Pouvez-vous faire quelque chose?» demandait-il, hier.

Apparemment, non...