L'écrivain allemand Günter Grass a cassé tout un tabou en publiant un poème qui vilipende Israël et l'accuse de menacer la paix mondiale, avec sa politique à l'égard de l'Iran.

Dans ce poème intitulé «Ce qui doit être dit», paru il y a 10 jours, l'auteur du Tambour dénonce le fait que l'État hébreu s'arroge «le droit à la première frappe qui risque de détruire le peuple iranien». Il reproche à l'Allemagne de vendre des armes à Israël. Et appelle Israël et l'Iran à soumettre leurs installations nucléaires à une inspection internationale.

Si je me fie à la traduction anglaise, ce poème ne vaudra pas à Günter Grass un deuxième prix Nobel de la littérature!

Mais la tempête soulevée par sa publication n'a rien à voir avec ses qualités littéraires. Le problème, c'est le message. Et le messager.

L'illustre écrivain allemand est sorti du placard en 2006, quand il a avoué avoir servi dans les Waffen SS, branche militaire de l'organisation nazie, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il avait alors 17 ans.

Il évoque ce passé dans son poème, en parlant de ses origines «ternies par une tache qui ne pourra jamais être lavée». Une tache qui l'a empêché, jusqu'à maintenant, de parler publiquement d'Israël.

Plus de 60 ans après la chute du Troisième Reich, qui a anéanti 6 millions de Juifs européens, les Allemands en général, et Günter Grass en particulier, ont-ils moralement le droit de critiquer les politiques de l'État juif - né, du moins partiellement, de l'horreur de l'Holocauste?

La question est hyper délicate. Günter Grass y a répondu par une diatribe un peu erratique, qui place toutes les fautes d'un côté: celui d'Israël. Et qui oublie que c'est Téhéran qui appelle à la destruction d'Israël, et non le contraire.

Mais en même temps, il soulève quelques vérités dérangeantes pour Israël, qui reproche à son lointain voisin de vouloir acquérir l'arme nucléaire - tout en gardant son propre arsenal hors d'atteinte pour toute vérification internationale.

Israël dispose par ailleurs de tout un arsenal d'arguments pour répondre aux critiques de Günter Grass. Mais son gouvernement a choisi de réagir au poème avec une démesure qui frôle l'hystérie.

Le ministre de l'Intérieur, Eli Yishai, a accusé l'écrivain de prôner la haine à l'égard d'Israël, et de «faire avancer les idées auxquelles il adhérait dans le passé». L'ambassade d'Israël à Berlin, elle, a fait le rapprochement entre le poème de Günter Grass et les mythes accusant les Juifs d'utiliser le sang d'enfants chrétiens pour fabriquer du pain azyme.

On a compris: avec ses critiques, Günter Grass se qualifie comme antisémite et appelle à un nouvel Holocauste. Ni plus ni moins.

Israël l'a puni en lui interdisant de franchir ses frontières.

Punition symbolique puisqu'à 84 ans, Günter Grass n'a peut-être pas envie de voyager en Israël. Punition étrange, aussi, étant donné qu'en Israël, il y a des gens qui partagent, du moins en partie, ses critiques. Et qui en débattent librement dans les journaux.

Mais c'est, hélas, une punition déployée de plus en plus fréquemment contre ceux qui critiquent les politiques de la droite israélienne. Du linguiste et pamphlétaire Noam Chomsky à la pacifiste irlandaise Maired Maguire, en passant par les quelques dizaines de militants pro-palestiniens expulsés d'Israël cette semaine. Dont la jeune Québécoise Charlotte Gaudreau-Majeau.

Quoi que celle-ci ait pu en penser, la mission Bienvenue en Palestine était davantage politique qu'humanitaire. Les Palestiniens n'ont pas besoin d'étudiants québécois pour construire des écoles à Bethléem.

Mais l'expression d'une solidarité à l'égard du peuple palestinien, toute politique soit-elle, ne menace en rien l'État hébreu. Pas plus que les accusations, empreintes de vieilles blessures, d'un écrivain qui essaie de se libérer d'un silence qu'il juge, à tort ou à raison, trop lourd à porter.

Avec ses airs de censure, la politique de la frontière fermée se retourne contre l'État hébreu, qui aurait pu inviter ses critiques à débattre de leurs idées, ou carrément les ignorer, au lieu de leur jeter l'anathème et de se rabattre sur la censure.