Elle avait tout juste 16 ans, venait d'une famille pauvre du nord du Maroc, et avait été mariée contre son gré à son violeur. Le 10 mars dernier, Amina Filali s'est tuée en avalant de la mort-aux-rats. Son suicide a mis son pays sens dessus dessous. Au coeur du débat: une loi qui permet aux violeurs d'échapper à la justice à la condition qu'ils épousent leur victime.

«Cette loi, c'est un marché qui permet de racheter l'honneur de la famille contre l'impunité du violeur. Elle permet de couvrir la honte», dénonce Malika Filali, une Marocaine qui milite pour l'abrogation de la loi.

Malgré son nom de famille, Malika Filali n'a aucun lien de parenté avec la jeune Amina, dont la tragédie a largement débordé les frontières du Maroc. Traductrice émigrée en Allemagne, Mme Filali écrit pour le webzine féministe Qandisha. Une publication qui a contribué à faire connaître l'histoire d'Amina, cette jeune femme que rien ne prédestinait à la célébrité.

Amina est née dans la région de Larache, sur la côte de la Méditerranée, dans une famille de cultivateurs. Selon sa mère, elle rêvait de devenir ingénieure. Mais son rêve s'est écrasé sous le poids d'une tradition archaïque, doublée d'une loi inspirée par... une législation française du XIXe siècle.

Amina a été violée à 15 ans. Théoriquement, le Code de la famille marocain fixe l'âge légal du mariage à 18 ans. Mais ce seuil est troué d'exceptions. Et l'un de ces passe-droits est fourni par l'article 475 du Code pénal - qui permet aux agresseurs sexuels de racheter leur crime en épousant leur victime.

Selon la mère d'Amina, c'est une solution de «compromis.». Un compromis qui permet à la famille de la victime de se débarrasser d'une jeune femme devenue «invendable» sur le marché du mariage, en échange de l'impunité pour le violeur.

Bref, tout le monde est content - sauf la jeune femme, qui paie pour le crime qu'elle a subi. Battue par son mari, Amina a cherché refuge chez ses parents. Ceux-ci l'ont renvoyée chez son époux. Coincée, la jeune femme s'est rabattue sur le poison.

Le suicide d'Amina a cassé un tabou au Maroc. Des femmes sont descendues dans les rues pour réclamer l'abolition de l'article 475. Plusieurs n'en avaient jamais entendu parler avant. «Le plus grand choc, ç'a a été de découvrir l'existence de cet article», dit la journaliste marocaine Fatima Motribe.

Celle-ci a participé à un sit-in devant le Parlement marocain, le mois dernier. «Nous sommes toutes des Amina», criaient les protestataires. Depuis qu'elle a été interviewée à la télévision, la journaliste se fait arrêter pour parler du fameux article 475. «Dans les rues, dans les hammams, on ne parle plus que de ça», dit-elle. Et selon elle, à quelques exceptions près, l'article 475 suscite une indignation généralisée.

Le mouvement de protestation relance tout le débat sur le statut des femmes au Maroc, souligne Fatima Motribe. Un débat qui soulève d'autant plus d'intérêt que le pays est dirigé, depuis novembre, par un gouvernement islamiste. Ce gouvernement ne compte d'ailleurs qu'une seule femme, qui a hérité, surprise, du portefeuille de la Famille...

Jusqu'à maintenant, la ministre Bassima Hakkaoui a refusé d'abroger la loi. Pour justifier son refus, elle a eu cette déclaration étonnante: «Parfois, le mariage de la femme violée à son violeur ne cause pas de réel préjudice.»

Mais le gouvernement dont Bassima Hakkaoui fait partie a des comptes à rendre à ses électeurs. Or, ceux-ci sont nombreux à avoir été bouleversés par l'histoire d'Amina. Une pétition contre l'article 475 a recueilli 750 000 signatures.

L'opposition ayant réclamé l'abrogation de la «loi Amina», le débat devrait maintenant se déplacer vers le Parlement. Le gouvernement islamiste cédera-t-il sous la pression? Ou non? C'est d'autant plus intéressant à suivre que d'autres gouvernements islamistes, fraîchement élus à la faveur du Printemps arabe, pourraient être bientôt aux prises avec des dilemmes semblables.