Le Mali est un pays musulman très conservateur. Il y a trois ans, quand le gouvernement a tenté d'assouplir son Code de la famille, pour améliorer le statut des femmes, des milliers de gens étaient descendus dans les rues pour protester contre la réforme.

Vue du Canada, celle-ci n'avait rien de révolutionnaire. Elle ne touchait ni à la polygamie, ni à l'excision, toutes deux largement pratiquées au Mali.

Mais l'abolition d'une clause obligeant les femmes à obéir à leur mari avait suffi pour propulser ce pays paisible au bord de l'explosion sociale. Les femmes qui appuyaient la réforme se sont fait traiter de tous les noms. «Ce sont des gourgandines», m'avait dit un journaliste malien alors que je faisais un reportage sur le sujet. Finalement, le gouvernement a dû reculer.

Un pays musulman conservateur, donc, mais pas du tout dans le sens de l'Afghanistan ou de l'Arabie saoudite! Les imams maliens ne demandent pas aux femmes de se voiler ou de se vêtir de noir. Les Maliennes portent des coiffes et des pagnes étourdissants de couleurs, et tout le pays est imprégné de musique.

Les informations qui proviennent ces jours-ci du nord du pays, où des islamistes ont pris le contrôle de trois villes du désert - Gao, Kidal et Tombouctou -, montrent que cette vaste région du pays est aujourd'hui soumise à un vent soufflant d'ailleurs.

Des annonces à la radio demandent aux femmes de se voiler, menacent de couper la main des voleurs, bannissent l'alcool et la musique. Les islamistes auraient aussi pris d'assaut le centre qui abrite les manuscrits historiques de Tombouctou. On frémit à l'idée que ceux-ci puissent connaître le sort des fameux bouddhas de Bamyan, dynamités par les talibans.

Les témoignages en provenance du nord du Mali restent rares. Mais on en sait suffisamment pour comprendre que les islamistes radicaux ont le vent dans les voiles. Plus que les traditionnels rebelles touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), qui veulent un pays, mais pas la charia.

Ces islamistes sont porteurs d'un «discours religieux décalé dans cette région qui abrite une variété de peuples n'ayant aucun appétit pour l'islam rigoriste», dit Gilles Yabi, responsable de l'Afrique de l'Ouest au sein de l'International Crisis Group.

Qui sont-ils, au juste, ces nouveaux seigneurs du désert? Il s'agit d'un groupe qui a émergé au début de l'année, sous le nom Ansar Dine. Son leader, Iyad Ag Ghaly, est un rebelle touareg qui a servi de mercenaire au colonel Khadafi, mais a aussi agi à titre d'ambassadeur du Mali en Arabie saoudite.

C'est vers la fin des années 90, sous l'influence de prêcheurs pakistanais, qu'il a troqué le nationalisme pour l'islam radical.

En d'autres mots, c'est un nouveau mouvement dirigé par un vieux rebelle qui s'impose dans le nord du Mali. Pour l'instant, il semble marcher main dans la main avec le principal groupe rebelle des Touaregs, le MNLA. Mais pour l'instant seulement...

Car les deux mouvements entretiennent des relations «très tendues», selon Gregory Mann, spécialiste du Mali à l'Université Columbia. «Le MNLA veut un État laïque, il ne veut pas imposer la charia, et il ne veut pas être associé avec les islamistes.» Surtout pas avec ceux d'un autre groupe radical, AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), également présent dans la région.

Son rôle dans les bouleversements actuels n'est pas clair. Mais il est l'ennemi juré du MNLA. Et il a bâti son fonds de commerce avec les kidnappings d'Occidentaux - dont le diplomate canadien Robert Fowler.

Un nouveau président a prêté serment au Mali, cette semaine. Mais les problèmes du pays ne font que commencer. Le conflit entre les nationalistes laïques et les fous de Dieu risque d'éclater à tout moment.

La rébellion touarègue risque aussi de s'étendre aux pays voisins, à commencer par l'Algérie et le Niger. Et tout ça risque d'exacerber la famine qui menace tout le Sahel. Bref, il y a une grosse crise humanitaire à l'horizon. Doublée d'une crise politique à l'issue incertaine.

Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca