Quand il a appris le nom de l'assassin qui venait d'abattre trois enfants dans une école juive de Toulouse, l'avocat Christian Etelin a eu le choc de sa vie. Car ce tueur, il le connaissait bien. Il le défendait depuis six ans dans ses nombreux démêlés avec la justice. Or pour lui, Mohamed Merah était tout, sauf un monstre.

La clientèle de Christian Etelin est faite de ces gars des cités de Toulouse, comme le quartier des Izards qui a vu grandir Mohamed Merah. Des «Beurs» un peu perdus, qui s'affirment en gonflant la poitrine.

Ils sont souvent «abrupts, insolents, arrogants», souligne l'avocat toulousain. Mais pas Mohamed Merah, qui était «courtois, tolérant, respectueux.»

Vous avez peut-être vu cette vidéo de Mohamed Merah, au volant d'une auto, qui illumine son visage d'un sourire qui crève l'écran. C'est ce garçon doté d'un «beau visage d'ange» que Christian Etelin a connu, il y a six ans.

À l'époque, l'adolescent avait commis des «bêtises de gosse de banlieue, issu d'une famille déstructurée», raconte l'avocat.

Quelques actes de violence ont parsemé son parcours de petit délinquant. «Mais il ne s'agissait jamais de violence inquiétante.» Plutôt de cette violence hélas trop banale, de jeunes coincés dans leur banlieue.

Dans son quartier, Mohamed Merah avait la réputation d'un playboy, vêtu de jeans et de t-shirts griffés. Parfois, ses cheveux longs cascadaient sur ses épaules. D'autres fois, il les nouait en chignon sur sa tête. Comme ses copains, il aimait s'habiller, sortir, fumer un joint. Et jamais, jamais, son avocat ne l'a entendu parler de religion.

Mais la religion, elle, est venue à sa rencontre, au sein même de sa famille «déstructurée.»

Divorce

Les parents de Mohamed Merah divorcent quand il est encore tout petit. Son père brille par son absence, surtout pendant les cinq années qu'il passe en prison pour trafic de stupéfiants. Sa mère, Zoulikha Aziri, est vite dépassée par les turbulences de Mohamed, le benjamin de ses cinq enfants.

«Elle était désespérée. Elle avait abandonné toute idée d'exercer de l'influence sur lui», relate Christian Etelin. Résultat: le garçon est ballotté d'un foyer d'accueil à un autre. Quand il comparaît devant la justice, il est rarement accompagné. Seule sa soeur Souwad semble s'occuper de lui.

Mais Mohamed subit aussi l'influence de son frère Abdelkader, qui fraie dans les milieux salafistes. Et celle de Sabri Essid, le fils du nouveau compagnon de sa mère. Un véritable djihadiste, celui-là, qui a été arrêté en Syrie, en 2006, alors qu'il tentait de rejoindre l'Irak.

Selon Christian Etelin, les relations entre Mohamed et Abdelkader étaient tout sauf faciles. «Tout le monde dans le quartier sait qu'ils ne s'entendaient pas bien.» L'éventuelle complicité des deux frères dans la folie meurtrière a-t-elle marqué le début d'une réconciliation? On ne le saura probablement jamais.

Tout comme on ne connaîtra jamais le moment précis où Mohamed Merah a commencé sa mutation vers l'implacable assassin d'enfants. «J'étais abasourdi. Je n'aurais jamais imaginé que cet enfant turbulent serait cet autre homme, capable de commettre un crime odieux», confie Christian Etelin.

Cela s'est-il passé en prison, où Mohamed Merah atterrit à l'âge de 19 ans après avoir violemment arraché le sac à main d'une dame âgée? Peine: 18 mois. On sait qu'il y a fait une tentative de suicide.

Son avocat raconte que le jeune homme, qui avait la réputation d'être un bon travailleur, espérait écourter sa peine grâce à un stage dans un centre de formation en carrosserie. Sa candidature est rejetée.

«Il en voulait à la société de l'avoir puni aussi sévèrement», dit son avocat.

Quand on regarde son parcours, on constate que Mohamed Merah a accumulé plusieurs échecs au cours des dernières années. En sortant de prison, il a tenté de s'enrôler dans l'armée. Refusé. Arrêté en Afghanistan, il a été renvoyé chez lui. Son nom figure désormais sur la liste noire des passagers non admis aux États-Unis. Il se serait marié en décembre - pour divorcer quelques semaines plus tard. Autre débandade.

Ses dernières années donnent l'impression du parcours erratique d'un jeune homme qui essaie désespérément de s'accrocher à quelque chose. Y compris au djihad. Peut-être le point d'ancrage le plus accessible pour lui.

Avec le recul, Christian Etelin se dit que la partie sombre du personnage lui a échappé. «Il était double. Derrière sa façade de garçon moderne, il y avait une autre personne. Un être faible qui avait le désir d'être fort», dit-il aujourd'hui. Un Français d'origine algérienne qui, à tort ou à raison, se sentait exclu. Et qui s'est «fantasmé» une filiation: celle d'Al-Qaïda.

Quand il évoque son ancien client, Christian Etelin ne peut s'empêcher de penser à une phrase tirée des mémoires de Charles Baudelaire. «Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées. L'une vers Dieu, l'autre vers Satan.»

Mohamed Merah a opté pour la seconde. À qui la faute? À ses parents qui l'ont délaissé? À la France, où il ne sentait pas tout à fait chez lui? Aux islamistes, chez qui il a trouvé une raison de vivre, de tuer et de mourir?

Un peu de tout ça à la fois, sans doute. Assaisonné d'un brin de mystère.