La révolution syrienne n'est plus ce qu'elle était. De plus en plus sectaires, les opposants de Bachar al-Assad sont aussi de plus en plus militarisés, et entretiennent de plus en plus de liens avec des puissances étrangères.

L'homme qui fait ce constat ne fraie pas dans les hautes sphères politiques à Damas. Au contraire: il souhaite la chute de la dictature syrienne. Et le plus tôt possible, s'il vous plaît. Mais cela ne l'empêche pas de voir le côté sombre d'une rébellion qui, après un an de répression, s'est beaucoup radicalisée. En partie par désespoir.

Bassam Haddad est né à Damas, a été élevé au Liban et vit depuis près de 30 ans aux États-Unis. Spécialiste de la Syrie, il enseigne à l'Université George Mason, à Washington. Il vient de publier un livre sur les ficelles économiques qui ont permis au régime syrien de se maintenir en place pendant quatre décennies.

C'est pour faire la promotion de ce bouquin, intitulé Business Networks in Syria (Réseaux d'affaires en Syrie) qu'il est passé par Montréal, cette semaine. Un passage qui coïncide avec le premier anniversaire du plus sanglant de tous les soulèvements arabes.

C'est le 13 mars 2011 qu'une quinzaine d'écoliers de la ville syrienne de Deraa ont tracé des graffiti antirégime sur les murs de leur ville. Déterminé à étouffer la révolte dans l'oeuf, le régime arrête les ados et les envoie en prison à Damas. Deux jours après, des manifestations massives éclatent un peu partout au pays.

«Dès le début, le régime a décrit ses opposants comme des gangs armés agissant au nom d'intérêts étrangers. C'était un mensonge. Mais au cours des derniers temps, cette accusation ne peut plus être complètement rejetée», déplore Bassam Haddad.

Malgré les récentes avancées de l'armée syrienne, Bassam Haddad estime que la crise syrienne est dans une impasse. Oui, le régime a gagné du terrain sur le plan militaire. Mais en même temps, son autorité politique s'effrite. Et sa capacité à diriger la Syrie autrement que par les armes décline à vue d'oeil.

Mais la transformation du mouvement de révolte l'inquiète. Car certains groupes armés poursuivent des objectifs qui n'ont plus rien à voir avec les motivations des manifestants descendus dans les rues, il y a un an.

Bassam Haddad prend bien soin de souligner que ces groupes radicaux restent minoritaires. Mais leur poids tend à augmenter. Qui sont donc ces «éléments problématiques» qui tentent de détourner la révolution syrienne à leur profit? Bassam Haddad cite les Frères musulmans, ou des groupes «encore plus à droite.» Mais aussi le Qatar, qui les finance. Et, de manière plus discrète, l'Arabie saoudite. Leur but: affaiblir l'Iran. Résultat: la révolte se joue de plus en plus selon des lignes confessionnelles, mettant en opposition musulmans sunnites et chiites.

Mais la radicalisation touche aussi le noyau des premiers opposants, qui deviennent «de plus en plus conservateurs et de plus en plus désespérés», dit Bassam Haddad. Car en Syrie comme ailleurs, le désespoir nourrit l'obscurantisme...

Cette radicalisation joue en faveur du régime, qui peut la brandir comme une menace face à la communauté internationale. Vous voulez que notre régime tombe? Regardez donc ce qui vous attend...

Damas bénéficie aussi de l'appui d'une partie de la population syrienne. Appui qui tend à s'effriter, et pas seulement à cause de la répression. Car la situation économique en Syrie est catastrophique. L'État n'arrive plus à payer ses employés. Et selon Bassam Haddad, il suffirait que le régime montre des signes de faiblesse pour que certains des partisans d'Assad, les grands groupes industriels par exemple, «décident de parier sur un autre cheval...»

Nous n'en sommes pas encore là. Pour l'instant, c'est l'impasse. Et il n'existe aucune clé magique pour la dénouer. «Malheureusement, nous n'avons pas le choix entre une bonne et une mauvaise situation. Le choix, c'est entre une très mauvaise situation et une catastrophe», dit Bassam Haddad.

Le scénario catastrophe, ce serait une intervention militaire étrangère qui finirait par embraser toute la région. Et l'autre option? «C'est attendre que les choses évoluent par elles-mêmes. Mais aussi, peut-être, miser sur une coalition internationale, incluant des pays comme la Chine et le Russie, pour inciter les deux parties à un cessez-le-feu.»

Bassam Haddad marche sur un fil très fin. «Je peux être vu comme un criminel, qui veut que la tuerie continue. Mais en ce moment, je ne vois pas de meilleur plan.»

Il n'est pas le seul. Après un an de révolte, et des milliers de morts, il n'existe aucun scénario pour une sortie de crise pacifique en Syrie.

À l'échelle des soulèvements populaires, la révolution syrienne présente un cas de figure hyper complexe. Des acteurs étrangers viennent brouiller les cartes, sur fond de rivalités régionales et interconfessionnelles. On est loin d'un scénario révolutionnaire romantique, avec une frontière étanche entre les gentils et les méchants.

Mais parallèlement à cette situation inextricable, il y a aussi une réalité très simple: un régime déterminé à survivre à n'importe quel coût profite de l'impuissance internationale pour massacrer tranquillement sa population. Le moins que l'on puisse faire, c'est de ne pas l'oublier. De résister à l'indifférence.