Les tirs d'artillerie se déchaînent tous les matins, dès 7 h. Les obus s'abattent sur presque tous les quartiers de la ville de Homs, avec un bruit terrifiant. Ensuite, il y a une accalmie d'une heure ou deux.

C'est là que Nada se précipite acheter de la nourriture dans une échoppe au coin de la rue. Puis, en attendant la nouvelle attaque qui fera trembler les murs et les fenêtres de la maison où elle vit depuis un mois, elle téléphone frénétiquement à ses proches et ses amis. Pour savoir s'ils sont toujours vivants.

«Hier, une amie m'a dit qu'un tank était stationné juste devant chez elle. Il a tiré pendant sept heures sans arrêter.»

Nada ne s'appelle pas vraiment Nada. Pour sa protection, je ne l'identifierai pas par son vrai nom. En Syrie, il n'est pas rare que les téléphones soient placés sur écoute. Et ce n'est pas une bonne idée de se faire remarquer par le régime en donnant des entrevues à des médias étrangers. Pour éviter qu'elle ne soit repérée, mieux vaut aussi taire le nom de l'université montréalaise que la jeune femme de 28 ans a fréquentée au début des années 2000.

De retour à Homs, Nada s'est mariée, elle a eu un enfant. Petite vie tranquille dans une ville de la taille de Montréal, où son mari tenait une pharmacie, alors qu'elle-même travaillait comme enseignante. Jusqu'à ce que l'enfer leur tombe dessus.

Il y a un mois, Nada a quitté son appartement du quartier Inchaat, devenu trop dangereux, pour emménager dans la maison de ses parents, moins exposée. «Ici, c'est le quartier le plus sûr de la ville, mais je sors le moins possible, il y a des tireurs embusqués partout, sur les toits des hôpitaux, sur les édifices publics.»

Quand j'ai joint Nada, hier, il y avait quatre jours que les téléphones cellulaires ne fonctionnaient pas dans son quartier. Puis, miracle: une communication claire et nette, avec les pleurs du bébé de 16 mois en arrière-plan. D'une voix saccadée, Nada m'a raconté son quotidien, fait d'angoisse et de deuils successifs. Mais aussi d'espoir que la folie qui a emporté sa ville s'arrête enfin.

Mais depuis six jours, c'est plutôt l'escalade. L'armée a en fait intensifié ses attaques contre Homs, ville industrielle et multiconfessionnelle, considérée comme le foyer du soulèvement syrien. Tous les jours, il y a des dizaines de morts. Hier, on en a compté une soixantaine.

«Ça fait des mois que nous entendons les tirs, mais depuis samedi, les bombardements sont plus bruyants, plus intenses, ils emploient des armes plus lourdes. Presque tous les quartiers sont attaqués.»

«Il y a deux jours, un jeune garçon de 15 ou 16 ans qui travaillait avec le Croissant-Rouge a été abattu. Ils tuent tous ceux qui veulent aider les blessés», raconte Nada.

Pour la nourriture, les gens s'arrangent, pour l'instant du moins. Ils se sont habitués à stocker des aliments, pour pouvoir traverser quelques semaines difficiles.

Mais la situation médicale est désastreuse. Les hôpitaux sont pilonnés. «Personne n'y est en sécurité.»

Et le pire, ce sont les blessés que l'on ne parvient pas à soigner. «Le cousin de mon mari a été tué d'une balle dans la tête dans une ambulance, alors qu'il essayait de sauver des gens. Il y a deux jours, des tireurs ont tué un médecin et un pharmacien qui essayaient d'apporter de l'équipement médical à Baba Amr.» Baba Amr, c'est le quartier au coeur de la tourmente, celui qui subit la pire attaque de l'armée.

Au cours des derniers jours, Nada a aussi entendu l'histoire d'un hôpital où des bébés sont morts, faute d'électricité. Elle ne sait pas si c'est vrai.

Nada se trouve chanceuse d'avoir pu se réfugier dans un quartier relativement à l'abri. Chanceuse, aussi, que son enfant soit aussi petit: «Il ne se rend pas compte de ce qui arrive.»

Mais ses amis et voisins voient leurs vitres voler en éclats, des obus atterrir dans leur maison. Certains sont hors d'atteinte, n'ayant plus ni électricité ni téléphone. Impossible de savoir ce qui leur arrive. Et tous ont perdu des proches au cours des derniers mois: «Il y a des morts dans chaque famille.»

De quoi les habitants de Homs ont-ils le plus besoin? «Il faut que ces bombardements cessent, nous ne pouvons plus supporter ça. Il y a des gens qui pleurent tout le temps.»

Et si les combats continuent, il faudrait au moins convaincre le régime de Bachar al-Assad de laisser entrer l'aide humanitaire, supplie Nada. «Qu'ils continuent à se battre, mais qu'ils laissent les organisations humanitaires aider les civils, qu'ils laissent les blessés se faire soigner dans les hôpitaux.»

«Les solutions politiques, ça prend du temps, ajoute Nada. Mais en attendant, nous avons terriblement besoin d'aide.»

Que cherche donc le régime en faisant pleuvoir roquettes et obus sur Homs? «Ils veulent que les gens qui ont des armes, ceux qui ont fait défection de l'armée, se rendent. Mais ces gens sont les fils des familles qui sont en train de se faire tuer. Ils ne peuvent pas se rendre.»

Et quel est l'État d'esprit des habitants de Homs, plongés en pleine guerre civile? «Bien sûr, les tirs et les bombardements, ça fait peur. Mais nous sommes au-delà de la peur. Les gens ne veulent pas que tout ce sang ait coulé pour rien. Ils ne s'arrêteront pas. Ils veulent leur liberté.»