La sonnerie du téléphone a réveillé l'ancien député péquiste Rémy Trudel à 5h du matin, mercredi. Au bout du fil, la voix angoissée de Martin Fayulu, chef d'un des partis de l'opposition congolais en lice pour les élections du 28 novembre.

Les nouvelles n'étaient pas bonnes. La veille, vers 22h, des hommes avaient attaqué la voiture du député de l'opposition Marius Gangale, alors qu'il était coincé dans un embouteillage à Kinshasa. Les agresseurs l'ont fait sortir de l'auto et lui ont tiré une balle dans la tête.

Ce n'est pas le premier acte violent à entacher les imminentes élections parlementaires et présidentielle en République démocratique du Congo. Au cours des dernières semaines, il y a eu des manifestations brutalement réprimées par la police. Des bureaux de partis incendiés. Des actes qui ont déjà causé quelques morts.

Mais c'est la première fois qu'un politicien est froidement assassiné en pleine capitale. Un signe d'escalade, à la veille d'un vote qui semble de plus en plus périlleux.

Le porteur de la mauvaise nouvelle était «inquiet, inquiet, inquiet», dit Rémy Trudel qui agit comme conseiller auprès du principal candidat de l'opposition, Étienne Tshisedeki. Que fait-il donc dans la galère congolaise? Enseignant à l'ENAP, Rémy Trudel a fondé un projet de coopération internationale avec ses étudiants. De fil en aiguille, il a eu des contacts avec des Congolais. Contacts qui l'ont conduit jusqu'au vieil opposant Étienne Tshisedeki, le seul parmi la dizaine de candidats de l'opposition à avoir une chance de gagner contre le président sortant, Joseph Kabila.

L'été dernier, Rémy Trudel a été invité à donner une formation aux militants de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UPDS), le parti d'Étienne Tshisedeki. Il leur a montré, par exemple, comment «simplifier leur message.»

Maintenant, il regarde la campagne électorale congolaise avec de plus en plus d'appréhension.

La présidentielle se jouera entre «son» candidat, et Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001. Sentant le sol lui glisser sous les pieds, ce dernier s'est livré à une petite entourloupette quelques mois avant les élections. Il a changé le mode de scrutin, qui ne comptera dorénavant qu'un seul tour. Ce qui signifie que le prochain président peut être élu sans avoir obtenu la majorité des voix.

Tous s'attendent à ce que le vote de lundi soit marqué par la fraude. Le climat est très tendu. Il y a des divisions entre les régions de cet immense pays, l'un des plus sous-développés de la planète. Chacun des deux principaux candidats a déjà annoncé qu'il allait se déclarer vainqueur du scrutin. Bref, la table est mise pour une explosion post-électorale.

«Si les résultats officiels du vote ne reflètent pas la volonté populaire, il y a là une poudrière prête à exploser», dit Rémy Trudel.

Selon les organisations de défense des droits de l'homme, la violence vise surtout l'opposition - mais pas exclusivement. Début septembre, il y a eu des actes de violence réciproques entre des militants pro-Kabila et pro-Tshisedeki, souligne le centre Carter. «Des reportages suggérant que les jeunes sont mobilisés et possiblement armés laissent penser que les partis politiques ne sont pas de bonne foi», constate son plus récent rapport sur ce pays.

Et récemment, Étienne Tshisedeki a eu des propos qui ont été perçus comme un appel à attaquer les prisons pour libérer ses militants.

Human Rights Watch s'inquiète aussi de la multiplication de «propos haineux basés sur des critères ethniques.» Dans certaines régions du pays, il y a une véritable campagne de peur contre l'opposition, selon HRW qui cite un candidat pro-Kabila qui aurait comparé les opposants à des moustiques qu'il faut éradiquer avec de l'insecticide... Ça glace le sang.

La RDC est un pays fracturé. Étienne Tshisedeki est populaire dans la capitale. Joseph Kabila a des appuis dans l'Est, région frontalière du Rwanda où sont concentrées les richissimes ressources naturelles du Congo. Région qui a longtemps souffert des retombées du génocide rwandais. Des groupes de rebelles s'y disputent l'exploitation de minerais, dont le précieux coltane, essentiel dans la fabrication des téléphones cellulaires.

«Aucun candidat n'a une assise nationale. Quoi qu'il arrive, il y aura un président mal élu», prévoit avec fatalisme Kanyurhi Tchika, journaliste montréalais d'origine congolaise.

Récemment, le gouvernement a fermé une quinzaine de stations de radios dans la province du Katanga, favorable à Tshisedeki, signale Glenys Babcock, politicologue torontoise qui revient d'un séjour en RDC. Autre mauvais signe, selon elle: «Il n'y a plus aucun moyen d'éviter la violence. La question c'est: combien?»

Mercredi, j'ai joint à Londres Marie-Thérèse Landu, qui avait défié Joseph Kabila aux élections de 2006. Emprisonnée, puis exilée, elle suit de loin les élections dans son pays.

«Si Kabila réussit à se faire élire, ça ne peut être que par la fraude. Nous allons nous mettre en mouvement. Nous sommes en état de légitime défense, nous allons ordonner des actions jusqu'à ce que Kabila parte.»

Entre un régime aux abois, et des opposants gonflés à bloc, un massacre est peut-être en préparation, loin des regards des médias.