L'histoire de la liaison entre la Grèce et l'euro est celle d'un jeune homme pauvre qui aurait épousé une richissime héritière. Grâce à elle, il accède à un niveau de vie dont il n'aurait jamais pu rêver autrement. À lui, champagne, caviar et palaces.

L'argent du ménage vient surtout de la belle-famille. Notre jeune homme en profite, mais il n'y apporte qu'une petite goutte d'eau, ici et là, à force de petits boulots. Sa femme espère qu'avec le temps, il apprendra à bien se conduire en société, qu'il saura comment placer les couverts et comment s'en servir.

Lui, il essaie, mais ça prend des efforts. En même temps, il dépense. Parfois, pour nourrir quelque petit vice. Peut-être qu'il fume en cachette. Ou alors, il a un problème de jeu dont il n'avait jamais parlé.

Tout va bien jusqu'à ce que le mariage tourne au vinaigre. Le jeune marié se sent coincé dans les exigences de la bourgeoisie, il a l'impression de ne plus rien contrôler, il aimerait retrouver sa liberté. Pas question, le divorce, ça ne se fait pas chez ces gens-là, peste sa femme. Lorsqu'elle s'aperçoit qu'au fil des ans, il avait usé avec trop de largesse de sa carte de crédit, elle brandit la menace. Si tu pars sans rembourser, tu perdras tout! Tous deux s'aperçoivent qu'ils sont maintenant liés, contre vents et marées. Ils ne peuvent plus vivre ensemble, mais ils ne peuvent pas non plus se séparer...

L'analogie de départ, celle du mariage malheureux, est suggérée par l'économiste d'origine grecque Stergios Skaperdas, qui enseigne à l'Université de Californie.

Je me suis permis de lui soumettre la suite du scénario, cette semaine, alors que le monde avait les yeux tournés vers Athènes, et aussi vers Cannes, où la «belle-famille» tentait de rapiécer le couple à la dérive.

Stergios Skaperdas est l'un des rares économistes à plaider ouvertement en faveur de la rupture. Il estime même que ce mariage n'aurait jamais dû avoir lieu, et qu'il a tourné au désavantage de la Grèce. Mais il croit aussi que les Grecs ne sont pas prêts pour le divorce.

«La séparation serait émotionnellement difficile. Les Grecs ne sont pas encore passés par toutes les étapes du deuil, et leur image en prendrait un coup. Ils se voient maintenant comme des Européens qui peuvent aller passer des vacances dans les Alpes et à Paris, sans avoir à changer de devise.» Abandonner cette image, consisterait à faire un douloureux constat d'échec.

La comparaison conjugale a bien sûr des limites. D'ailleurs, quand on y pense bien, la zone euro est un mariage polygame, avec des partenaires venant de toutes les couches de la société: riches, moins riches, beaucoup plus pauvres.

L'essentiel, c'est qu'aux yeux de Stergios Skaperdas, tôt ou tard, la Grèce finira par abandonner l'euro. Et alors, d'autres pays, tels que le Portugal ou l'Italie, pourraient suivre.

Le problème de ce mariage, c'est qu'il a un vice de départ, explique l'économiste. En gros, la création d'une monnaie commune devait être suivie d'une plus grande fusion politique. «C'était une façon de pousser vers une plus grande intégration européenne, par la porte d'en arrière.»

Mais l'intégration politique n'a pas suivi. Résultat: les pays membres de la zone euro ont peu d'influence sur leurs politiques fiscales, ils ne peuvent pas voter pour un ministre des Finances commun, et leur banque centrale est faible. En même temps, ils ont cédé un peu de leur souveraineté. Ils ne peuvent pas, par exemple, dévaluer leur monnaie pour stimuler leurs exportations ou encourager le tourisme.

Grâce à son adhésion à l'euro, la Grèce a bénéficié de toutes sortes de subsides et de prêts. Les Grecs se sont sentis riches. Mais ils se sont endettés, collectivement et individuellement. «Matériellement, leur sort s'est amélioré, dit M. Skaperdas. Mais cette richesse était irréelle, elle reposait sur une illusion.»

Stergios Skaperdas croit que les conséquences du divorce grec ne seraient pas aussi graves qu'on le pense. J'ignore s'il a raison. En revanche, je partage son analyse de l'état du couple. Une monnaie commune, sans contrôle sur les politiques monétaires, il y a là comme un déficit de souveraineté et de démocratie. C'est sûr, ils auraient dû y penser avant de se marier. Mais ici comme ailleurs, chacun croyait pouvoir changer l'autre et sauver le couple par la seule force de l'amour...

Le hic, c'est que le plan de sauvetage conjugal repose sur une autre illusion: celle qu'on peut relancer l'économie par des mesures d'austérité extrême, qui appauvriront brutalement le pays et ses habitants.