Si tout va comme prévu, une flottille d'une dizaine de bateaux quittera la Grèce samedi, en direction de la bande de Gaza. But du voyage: défier le blocus imposé à ce minuscule territoire palestinien depuis que les islamistes du Hamas y ont pris le pouvoir, il y a quatre ans.

Depuis juin 2007, un million et demi d'habitants, entassés dans une mince bande de terre longeant la Méditerranée sur 41 kilomètres, sont soumis à une expérience inédite: barricadés à quadruple tour, incapables d'importer ou d'exporter des marchandises, ils sont enfermés dans une prison dont les barreaux sont devenus quasi infranchissables.

Comment ont-ils fait pour survivre, malgré tout? C'est un peu la question qui a amené la journaliste française Katia Clarens à passer quelques mois à Rafah, dans la pointe sud de la bande de Gaza. Elle en a tiré un livre (Une saison à Gaza) qui nous fait découvrir le quotidien de ces gens trop souvent réduits à leur tragédie. Comme si les habitants de ce lieu ravagé passaient leur temps à souffrir.

Dès les premiers paragraphes, on comprend que ce n'est pas le cas. Le livre s'ouvre sur une scène où deux jeunes femmes essaient des lentilles cornéennes bleues et vertes qui ont transité par l'un des nombreux tunnels reliant la bande de Gaza à l'Égypte. Ces tunnels, qui ont permis à Gaza de contourner partiellement le blocus, servent à transporter toutes sortes de biens: ciment, chevaux, autos, armes. Mais aussi des lentilles cornéennes de couleur, dernier cri de la mode à Gaza où les femmes ne font pas que pleurer leurs martyrs. Elles rêvent aussi d'être belles.

D'emblée, le ton est donné. Il y a, à Gaza, des gens qui achètent des fleurs, cuisinent, étudient ou s'extasient devant les premiers pas d'un bébé.

La journaliste nous fait rencontrer la famille de Ziad et Sheheen, avec qui elle s'est liée d'amitié alors qu'elle couvrait la guerre de Gaza, en hiver 2009. Elle les a retrouvés pour un séjour de cinq mois, entre juin et octobre 2010. Ce qui l'a frappée avant tout, c'est «la formidable qualité de l'accueil» que lui a réservé à elle, femme occidentale et chrétienne, cette famille musulmane conservatrice, dit la journaliste qui travaille comme grand reporter au Figaro Magazine.

Son livre n'est pas parfumé à l'eau de rose. On y trouve des images et des dialogues qui frappent comme des coups de poing. Un jeune homme dont le frère a été tué dans l'effondrement d'un tunnel lui dit: «Nous, à Gaza, on est habitués à mourir.» Un enfant demande à son père: «Papa, pourquoi les gens voyagent?» Au cours d'une hallucinante partie de baseball sur un toit, elle rencontre une jeune femme rebelle qu'elle surnomme: Lady Gaza.

Au-delà de cet album de famille, le récit est cimenté par des analyses marquées par un grand souci d'objectivité - denrée rare dans cette région de la planète. La journaliste prend la peine de parler du blocus israélo-égyptien. Après tout, l'Égypte a également fermé sa frontière avec Gaza il y a quatre ans. D'ailleurs, à Gaza, on en veut beaucoup plus aux Égyptiens, les «frères arabes», qu'aux Israéliens, pour ces années de réclusion, constate Katia Clarens. Depuis la chute du régime Moubarak, l'Égypte a rouvert le poste frontalier de Rafah. Mais les gens n'y passent qu'au compte-gouttes. Dans les faits, rien n'a changé, selon la journaliste.

Peu à peu, par petites touches, le livre permet de soulever les différentes couches d'une réalité politique complexe. On apprend que le Hamas n'est pas monolithique. Qu'au plus haut niveau, il y a des divisions entre radicaux et modérés. On découvre également que le mouvement islamiste ne contrôle pas tout. Et qu'il y a des gens qui le jugent trop conciliant envers Israël. Des groupuscules radicaux se disputent les attaques aux roquettes contre Israël. Le Hamas lui-même restreint peu à peu les libertés. Sa dernière campagne de bonnes moeurs vise à empêcher les femmes de fumer le narguilé! Le Hamas n'est pas tendre non plus pour ses opposants. Quand des jeunes ont voulu protester dans les rues de Gaza, plusieurs ont été embarqués par la police. Il faut savoir que les deux tiers des Gazaouis ont moins de 25 ans. Et comme ailleurs dans le monde arabe, ils ont soif de liberté.

Finalement, les Gazaouis sont pris dans un «double étau»: prisonniers de leurs voisins, ils sont aussi soumis à un gouvernement conservateur et étouffant. L'imposition du blocus israélo-égyptien visait deux objectifs. Faire libérer le soldat israélien Gilad Shalit, capturé il y a cinq ans. Et mettre fin aux tirs de roquettes sur Israël. Dans les deux cas, c'est un échec. Et le blocus ne fait qu'imposer un régime inhumain à des hommes, des femmes et des enfants dont la majorité n'a rien à voir avec la lutte armée. À méditer alors que la flottille vers Gaza s'apprête à lever les amarres.