Chaque fois qu'elle entend parler d'un attentat suicide en Afghanistan, Mellissa Fung a une pensée pour Khalid, l'homme qui l'a séquestrée au fond d'un trou creusé dans le sol, pendant 28 interminables journées de l'automne 2008.

Et si le kamikaze était justement lui, Khalid? se demande-t-elle immanquablement. Le cas échéant, que ressentirait-elle? «Probablement du chagrin.»

La journaliste de CBC venait de terminer un reportage dans un camp de réfugiés près de Kaboul, par une belle journée d'octobre, quand une auto bleue a foncé vers elle en soulevant un nuage de poussière. Enlevé à la pointe du fusil, blessée à l'épaule alors qu'elle se débattait contre ses agresseurs, la jeune femme passera près d'un mois dans sa prison de terre, complètement coupée du monde.

L'étrange relation qu'elle développe alors avec l'un de ses ravisseurs est l'aspect le plus fascinant du livre Under An Afghan Sky, le récit qu'elle tire de ces 28 jours de captivité. Khalid apparaît comme le chef du groupe. Il se soucie de son confort, s'inquiète quand elle est malade, se fâche quand il apprend qu'un de ses compagnons l'a violée. Mais il lui arrive aussi d'attacher son otage à une chaîne métallique ou de la laisser croupir seule au fond de son trou.

Khalid est l'un des rares parmi les geôliers de la journaliste à pouvoir tenir une conversation en anglais. Au fil des jours, elle apprend qu'il pratique le kidnapping comme un banal commerce dirigé par son père depuis le Pakistan. Qu'il a une jolie fiancée. Que les deux envisagent d'avoir cinq enfants. Puis, de se faire exploser dans un attentat suicide.

«Mais ce ne sera pas juste pour les enfants, de perdre leurs parents, proteste Mellissa Fung dans un échange particulièrement surréaliste.

- Ma mère les élèvera», répond son ravisseur.

Khalid promet à Mellissa qu'il ne la tuera pas et qu'il espère l'échanger contre de l'argent. Après l'avoir enlevée, il avait d'abord été déçu, pensant que sa proie était de nationalité chinoise. Or, les Chinois ne paient pas de rançons...

Avec le temps, Mellissa Fung comprend que Khalid prend des libertés avec la vérité. D'abord, il ne s'appelle pas Khalid. L'histoire de son père semble cousue de fil blanc. Peu de temps avant de la libérer, les ravisseurs prétendent que la mère de Khalid vient de mourir. Mensonge. En fait, la police afghane vient d'arrêter des membres du réseau à la frontière du Pakistan. La tentative d'extorsion tourne court. Mellissa Fung sera finalement échangée contre une détenue et les kidnappeurs ne recevront pas un sou.

Dans cette relation entre l'otage et son ravisseur se glissent parfois des moments de tendresse. À un moment, Khalid donne son adresse courriel à la journaliste, et demande la sienne en échange.

Mais il n'a jamais donné signe de vie. Curieuse, Mellissa Fung m'a confié qu'elle lui a écrit un jour pour prendre de ses nouvelles. En vain.

Mellissa Fung n'est pas du genre à s'apitoyer sur son sort. Elle préfère tourner la page. Même sur l'agression sexuelle qu'elle a subie, le couteau sur la gorge, et qu'elle évoque pudiquement, en quelques paragraphes.

«Un collègue qui a lu le manuscrit m'a dit que j'aurais dû donner plus de détails», dit-elle. Mais elle a refusé. En fait, elle avait même hésité à évoquer ce viol, écarté de sa mémoire par un réflexe de santé mentale. Mais elle a pensé aux femmes afghanes qui, lorsque violées, sont considérées comme des criminelles. «Moi, je suis libre de tout raconter.» Alors, elle a raconté. Discrètement.

Black-out

Quand on passe 28 jours sous la terre, avec pour seule compagnie des biscuits secs, un seau hygiénique puant et un gardien pas toujours très avenant, le temps est long. Comment le meubler? Melissa jouait à des jeux sur le cellulaire de ses geôliers. Elle écrivait des lettres dans des carnets qui lui seront confisqués avant sa libération. Un jour particulièrement sombre, elle a même écrit son testament.

Parfois, elle imaginait les journalistes frappant à la porte de la maison de ses parents, à Vancouver, dans l'espoir d'apprendre quelque chose à son sujet. Grosse surprise au moment de sa libération: Radio-Canada avait demandé à tous les médias de ne rien écrire à son sujet. Et les médias ont respecté ce mot d'ordre.

L'argument derrière cette demande allait comme suit: si la nouvelle de l'enlèvement devait parvenir aux oreilles des talibans, la «valeur» de la journaliste risquait de monter, compliquant les efforts de négociation et augmentant le niveau de danger.

Mais Mellissa Fung en doute. «Peut-être qu'au contraire, les médias auraient pu créer une pression qui aurait accéléré ma libération», suppose-t-elle. D'ailleurs, elle confie que si elle avait été exposée à une telle demande de secret, elle aurait choisi de publier l'information malgré tout.

Le livre

Mellissa Fung a plongé dans l'écriture de son livre en espérant qu'il l'aiderait à se libérer de son cauchemar. Elle y relate ses peurs, ses techniques de survie - réciter le chapelet, par exemple -, ses réflexions sur ses ravisseurs.

Le résultat est inégal. Souvent, elle flotte à la surface des choses, et l'univers dans lequel elle se trouve plongée contre son gré reste un mystère pour la journaliste, tout comme pour son lecteur. Mais au-delà de ces faiblesses, le livre nous montre une jeune femme courageuse qui serait prête à retourner en Afghanistan n'importe quand, si ses patrons lui donnaient le feu vert.

Une jeune femme qui a voulu témoigner de son expérience pour mieux tourner la page. Erreur: ce saut dans le passé l'a replongée dans son cauchemar. Elle a recommencé à se réveiller la nuit, en sueur, le coeur battant à tout rompre. «Si j'avais su, je n'aurais probablement pas écrit ce livre.»