Un vendredi d'avril, j'attendais devant la mosquée Al-Aziz Bellah, dans un quartier périphérique du Caire, quand une femme en voile intégral s'est approchée de moi pour me tendre un tract sur lequel était inscrite la question suivante: «Où est Camilia Shehata?»

Camilia qui? Le pamphlet faisait référence à une jeune chrétienne, épouse d'un prêtre de l'église copte, qui aurait fui son mari pour se convertir à l'islam. Et serait maintenant détenue dans une église copte pour empêcher sa conversion. Les fidèles étaient appelés à manifester en faveur de sa libération.

La mosquée Al-Aziz Bellah n'est pas un lieu de culte ordinaire. On y rencontre des musulmans salafistes, qui pratiquent l'une des formes les plus radicales de l'islam. Les hommes y portent une longue barbe. Les femmes cachent leur visage derrière un niqab.

«Devons-nous suivre l'appel à manifester en faveur de Camilia?», ont demandé les fidèles à leur imam, à l'issue du prêche. Ce dernier leur a conseillé de bien vérifier qui étaient les organisateurs de l'événement, pour éviter de se retrouver au milieu d'une émeute.

Les tensions suscitées par cette histoire abracadabrante se sont exacerbées au cours des derniers jours. Pour calmer le jeu, la jeune femme a fait une déclaration publique, ce week-end, assurant qu'elle avait gardé autant sa religion que son mari.

Il n'en fallait pas plus pour qu'une nouvelle rumeur, concernant une autre chrétienne en voie de conversion, supposément prisonnière d'une autre église copte, n'entraîne une explosion de violence.

Samedi, des musulmans ont attaqué une église dans un quartier populaire du Caire, sous prétexte de libérer la captive. Comme pour Camilia, l'histoire était fausse. Mais l'incident a dégénéré. Il y a eu des tirs de part et d'autre. Bilan: une douzaine de morts et plus de 230 blessés.

Même si certains détails de ce carnage restent nébuleux, plusieurs témoins montrent du doigt les salafistes, qui font beaucoup de millage avec ces fausses histoires de kidnappings de chrétiennes en rupture de ban avec l'église.

Les chrétiens forment environ 10% de la population égyptienne. Leurs relations avec la majorité musulmane sont difficiles. L'hiver dernier, quand les Égyptiens étaient rassemblés sur la place Tahrir pour réclamer le départ du président Moubarak, on a vu musulmans et chrétiens prier côte à côte, dans un remarquable esprit d'unité.

Depuis, la bulle a éclaté. Et les hostilités ont repris. En février, des musulmans ont incendié une église copte dans un village situé à deux heures de route du Caire, à la suite d'une histoire d'amour interconfessionnelle. En mars, des affrontements entre musulmans et chrétiens ont fait 13 victimes. Puis, il y a eu le massacre de samedi.

L'Égypte post-Moubarak fonce-t-elle tout droit vers une guerre religieuse? «Nous n'en sommes pas encore là, mais la situation est très, très inquiétante», dit Gamal Gawad, directeur du Centre d'études stratégiques et politiques Al-Ahram, que j'ai joint au Caire, hier.

Selon lui, le problème, c'est que la police, qui a déserté les rues dans la foulée de la révolution égyptienne, ne brille toujours pas par excès de zèle. Des quartiers sont laissés sans surveillance. Et cela augmente le risque de violences. Y compris interconfessionnelles.

Mais ça n'explique pas tout. Le mouvement salafiste, qui prône un retour aux pratiques religieuses du temps de Mahomet, était férocement réprimé par le régime Moubarak. Depuis février, les portes des prisons se sont ouvertes. De nombreux salafistes ont recouvré leur liberté. Et leur capacité de nuire.

«En absence d'un appareil de sécurité efficace, ces groupes échappent à toute surveillance», dit Gamal Gawad. D'ailleurs, les salafistes ne s'en prennent pas seulement aux chrétiens. Depuis février, il y a eu plusieurs cas de vandalisme contre des mosquées de rite soufi - courant modéré de l'islam, majoritaire en Égypte.

Ici, il n'était pas question d'histoires d'amour interdites, ou de belles captives détenues dans des églises. Les attaques contre les mosquées visaient les tombeaux de saints - incompatibles avec l'islam tel que pratiqué par les salafistes.

Les chrétiens ne sont donc pas les seuls à en avoir assez des salafistes. Mais minoritaires et vulnérables, ils ont tendance à répondre aux agressions en se radicalisant à leur tour.

Après chaque explosion de violence, le pays s'apaise... jusqu'à la fois suivante. «Chaque incident est plus grave que le précédent, c'est un cercle vicieux», dit Gamal Gawad.

Comme c'est souvent le cas en Égypte, un parfum de complot flotte autour de ces affrontements. Plusieurs croient qu'ils ne peuvent qu'être téléguidés par des membres de l'ancien régime, qui veulent bien exposer les dangers de la liberté. Mais selon Gamal Gawad, rien ne prouve que ces rumeurs soient fondées. Et la feuille de route des salafistes montre qu'ils sont capables de causer des troubles tout seuls.

Reste que jusqu'à maintenant, l'armée qui dirige l'Égypte depuis la chute de Moubarak ne s'est pas empressée de punir les coupables. L'église copte brûlée en février a été reconstruite, tout le monde a dénoncé les attaques... mais personne n'a eu à répondre de ces actes.

Hier, les autorités ont arrêté 190 personnes qui risquent de faire face à la justice. Peut-être que cette fois, le gouvernement prendra le problème au sérieux.

Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca