«Nous ne savons pas combien de membres regroupe notre mouvement. Le gouvernement dit que c'est entre 3 et 4 millions. Mais nous ne comptons pas. Nous savons simplement que nous sommes partout, dans chaque ville, chaque village, chaque rue.»

Voilà comment le numéro 2 des Frères musulmans égyptiens, Rachad al-Bayouni, a décrit l'organisation islamiste à un journaliste du magazine allemand Spiegel, qui l'a rencontré cette semaine au Caire.

Les Frères musulmans ont-ils vraiment des antennes dans chaque petit recoin de ce pays où la révolte populaire menace de faire chuter un régime au pouvoir depuis 30 ans? Si oui, quelles sont leurs chances d'accéder au pouvoir à l'issue d'éventuelles élections démocratiques? Et, le cas échéant, quel genre de gouvernement formeraient-ils? Autrement dit: faut-il avoir peur des Frères musulmans?

D'abord, une mise en garde: si vous espérez que cette chronique donne une réponse claire à cette question, vous serez déçu. Les opinions des spécialistes divergent sur le sujet. Et plusieurs admettent avec humilité qu'ils n'en savent rien et se contentent de jongler avec différentes hypothèses.

Cela dit, certains éléments d'analyse font l'unanimité. Fondés en 1928 pour préserver les Égyptiens contre l'influence de l'Occident, soutenus par l'Occident comme rempart contre le communisme pendant la guerre froide, les Frères musulmans constituent aujourd'hui le groupe d'opposition le mieux organisé en Égypte.

Interdits mais tolérés par le pouvoir, ils ont eu l'occasion, dans le passé, de se présenter à des élections, sans toutefois porter les couleurs de leur mouvement. «Chaque fois qu'ils ont pris part à des élections, les Frères musulmans ont fait une percée», dit Samir Amghar, spécialiste de l'islamisme affilié à l'Université de Montréal. Ainsi, en 2005, avec 88 députés élus, ils ont décroché 20% des sièges du Parlement. Et encore, ils n'avaient pas présenté de candidats à tous les postes.

Aujourd'hui, leur cote de popularité va de 30 à 40%, selon diverses estimations. Mais cette donnée est peu fiable. Et une partie de leur popularité est fondée sur la répression dont ils ont été victimes. Aussi, depuis leur entrée massive au Parlement, ils ont fait comme la majorité des politiciens: ils ont déçu les attentes. Il y a eu des taches sur leur auréole...

Les Frères musulmans égyptiens ne forment pas un bloc uniforme. Leur chef actuel, Mohamed Badie, est considéré comme un conservateur. Il y a parmi eux de purs salafistes, adeptes d'une des visions les plus radicales de l'islam, mais aussi des islamistes modérés, prêts à composer avec la laïcité.

«Les Frères musulmans ont toujours oscillé entre dogmatisme, pragmatisme et opportunisme», souligne le politologue Sami Aoun. Et c'est peut-être par calcul, et non par négligence, qu'ils se sont montrés aussi discrets dans la révolte qui a placé le régime de Hosni Moubarak au bord de l'effondrement: plus ils auraient été visibles, plus cette révolte aurait fait peur au monde...

Que cherchent-ils vraiment, aujourd'hui? «Prendre le pouvoir et le garder», dit Samir Amghar. D'autres croient en revanche que la confrérie n'est pas du tout pressée d'assumer toutes les responsabilités du pouvoir. Et préfère continuer à étendre son influence en sourdine, à travers ses réseaux.

Le cas échéant, les dogmatiques l'emporteraient-ils sur les modérés? C'est la question à 1 million, à laquelle personne ne peut répondre. Joshua Stacher, de l'Université Kent, en Ohio, estime que les Frères musulmans seraient tout à fait heureux de jouer le jeu de la démocratie, quitte à y perdre ou à y gagner. Samir Amghar croit pour sa part que, s'ils devaient prendre le pouvoir, les Frères musulmans durciraient leurs positions, particulièrement à l'égard d'Israël.

Mais que, en même temps, ils préféreraient garder l'apparence d'un pays fréquentable aux yeux de la communauté internationale.

Les islamistes égyptiens ont été marqués par deux exemples, souligne Samir Amghar: celui de l'Iran, où les mollahs règnent avec une poigne de fer, et celui de la Turquie, où les islamistes ont montré qu'ils peuvent gérer un pays sans s'aliéner la planète entière. Selon le chercheur, ce dernier exemple est autrement plus inspirant. Mais dans l'éventualité où ils prendraient le pouvoir, les Frères musulmans le suivraient-ils? Ça reste à voir...