La scène se déroule à l'hôtel Inbal, un établissement cinq étoiles dont les chambres luxueuses offrent une vue sur la vieille ville de Jérusalem. Nous sommes en juin 2008 et des négociateurs israéliens et palestiniens tentent de sauver un processus de paix qui n'en finit plus d'agoniser. Autour de la table, il y a la ministre des Affaires étrangères israélienne de l'époque, Tzipi Livni, l'ancien premier ministre palestinien Ahmad Qurei, et une poignée de conseillers.

La secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, ouvre la rencontre sur une note optimiste, en se disant sûre qu'un accord de paix sera conclu dans l'année. Ahmad Qurei présente alors la toute dernière proposition palestinienne. Qui comporte une véritable bombe: les Palestiniens sont prêts à céder à Israël tous les quartiers juifs construits depuis 1967 dans la partie arabe de Jérusalem.

«C'est la première fois dans l'histoire que nous faisons une telle proposition», souligne-t-il. En revanche, les implantations juives au-delà de Jérusalem, en Cisjordanie, posent un problème plus complexe, dit le négociateur palestinien. Pas question, par exemple, de céder Ariel, ville juive qui accapare un large pan de la Cisjordanie près de Tel-Aviv, parce que celle-ci draine les ressources hydrauliques de la région.

«Ce n'est pas à cause de l'eau que nous voulons garder Ariel, mais parce que nous devons dire quelque chose aux milliers de gens qui y vivent», rétorque Tzipi Livni. Qui finira par rejeter poliment l'ultime offre palestinienne, jugée insuffisante.

Cet échange est tiré des «documents palestiniens» rendus publics depuis dimanche par le réseau Al-Jazira. Au total, plus de 16 000 pages confidentielles sont parvenues à la télévision arabe qui compte les publier progressivement, en association avec le quotidien britannique The Guardian. Le journal affirme avoir fait authentifier les documents et avoir fait confirmer leur contenu par d'anciens membres des équipes de négociation.

Selon les deux médias, ces fuites d'une ampleur sans précédent illustrent l'importance des concessions consenties par le camp palestinien. Celui-ci aurait aussi été prêt à confier la gestion du lieu le plus litigieux de la vieille ville, la mosquée Al-Aqsa, à une instance internationale, en attendant de trouver une solution définitive. Prêt, également, à abandonner toute prétention sur le quartier juif de la vieille ville, qui «déborde» en territoire annexé illégalement par Israël en 1967. Et enfin, à limiter à 10 000 par an, pour un total de 100 000, le nombre de réfugiés palestiniens qui auraient le droit de retourner en Palestine.

En soi, ces concessions ne sont pas totalement révolutionnaires. Dans le passé, des initiatives privées cherchant à débloquer les négociations de paix ont déjà proposé des échanges territoriaux entre Israël et le futur État palestinien, par exemple. Mais aucun négociateur officiel n'avait été jusqu'à abandonner le droit de retour pour la vaste majorité des 5 millions de réfugiés palestiniens, ou de laisser Israël annexer presque tous les quartiers juifs de Jérusalem-Est, où quelque 200 000 colons juifs se sont établis au fil des ans.

Il n'y avait qu'à voir la véhémence avec laquelle les leaders palestiniens niaient l'authenticité des documents, hier, pour comprendre à quel point ceux-ci sont explosifs. Selon Seumas Milne, rédacteur en chef adjoint du Guardian, ces concessions illustrent «la faiblesse et le désespoir» du camp palestinien. Beaucoup de Palestiniens en concluront que leurs leaders se sont écrasés devant Israël.

En attendant la suite des révélations, il y a lieu de se poser quelques questions. D'abord, qui a eu l'intérêt de divulger ces milliers de pages ultra-secrètes à Al-Jazira? Les fuites risquent de rendre la vie difficile aux plus modérés parmi les leaders palestiniens. Dans la grande guerre fratricide interpalestinienne, c'est le Hamas, le parti islamiste radical, qui risque d'en sortir renforcé.

On peut aussi se demander quel espoir il est encore possible d'entretenir au sujet de quelque processus de paix que ce soit, si des concessions d'une telle ampleur ont été rejetées sans autre forme de procès.

Israël a longtemps justifié l'enlisement des négociations par l'absence d'un véritable «partenaire» pour la paix. Ce que les récentes fuites démontrent, c'est que cette excuse ne tenait pas la route, du moins pas en 2008. L'État hébreu avait bel et bien un partenaire avec qui discuter des aspects les plus litigieux du conflit, prêt à faire des pas immenses pour parvenir, enfin, à la création d'un État palestinien.

Une perspective qui semble maintenant plus éloignée que jamais. Ce qui nous amène à une autre question: si ce conflit ne se règle par la coexistence entre deux États, alors comment?