Fermez les yeux et dites: Somalie. À quoi pensez-vous? Peut-être aux pirates qui rodent sur les côtes de ce pays en proie à une interminable guerre civile. Ou aux rebelles islamistes qui resserrent leur étau sur sa capitale, Mogadiscio.

Quand il pense à la Somalie, Luis Neira, lui, revoit des images d'enfants qui meurent. Et de mères qui sont font face au plus cruel des dilemmes: en absence de nourriture, doivent-elles laisser mourir celui, parmi leurs enfants, qui a le moins de chances de survivre?

Montréalais d'origine colombienne, ce médecin a dirigé pendant trois ans la mission de Médecins sans frontière dans ce pays africain éprouvé par deux décennies de guerre civile.

Il était établi à Nairobi, au Kenya, mais traversait souvent la frontière pour visiter les cliniques somaliennes de MSF. Enfin, jusqu'au jour où il n'a plus été capable de voyager en Somalie, devenue trop dangereuse.

Cela remonte au printemps 2009. Depuis, des cliniques ont dû fermer leurs portes, d'autres ont été déplacées. À mesure que les rebelles ont avancé dans la capitale, MSF a dû s'adapter. L'an dernier, les quatre cliniques qui desservaient le nord de Mogadiscio ont été évacuées. Des quartiers entiers sont maintenant privés de soins médicaux.

«Quand je suis arrivé dans la région, il y a trois ans, la capitale était contrôlée par le gouvernement et gardée par les soldats éthiopiens», se souvient Luis Neira. Ce n'était pas une ville bucolique où aller prendre un verre sur une terrasse après le boulot, bien sûr. Mais au moins, il était possible de circuler sur tout son territoire.

Depuis, l'armée éthiopienne s'est retirée. Au cours des dernières semaines, les «chebabs», ces rebelles qui se réclament d'Al-Qaïda et prônent une vision de l'islam proche de celle des talibans, se sont dangereusement approchés du palais présidentiel.

Les forces de l'Amison, la mission de l'Union africaine en Somalie, ont réussi de peine et de misère à les refouler. Mais le gouvernement ne contrôle, en réalité, que trois lieux: le palais présidentiel, l'aéroport et le port de la capitale, résume Luis Neira.

Et encore. Les rebelles, qui contrôlent tout le reste du pays, menacent maintenant de couper la grande artère qui relie le port à l'aéroport. Et des tiraillements politiques ajoutent à l'instabilité générale. Hier, le premier ministre du pays, Omar Ali Sharmarke, a démissionné de son poste.

La Somalie pourrait basculer entre les mains des rebelles. En attendant, la population souffre. Et pendant trois ans, Luis Neira a été aux premières loges pour la voir s'enfoncer dans une catastrophe humanitaire qui dépasse l'imagination.

La Somalie est un cas d'espèce illustrant jusqu'où un «État en faillite» peut sombrer. Un exemple en dit long. Privée d'universités, la Somalie a réussi, envers et contre tous, à former un groupe de médecins qui devaient être diplômés l'an dernier. Mais un attentat suicide a décimé leurs rangs, en plein pendant la cérémonie de remise des diplômes.

Plus de 40% des 3 millions de Somaliens ont besoin d'aide humanitaire. Près de la moitié sont des personnes déplacées. La mortalité infantile est parmi les plus élevées du monde. Les trois quarts des mères ne reçoivent pas de soins périnataux. Un pourcentage ridicule d'enfants parvient à se faire immuniser.

Derrière ces chiffres, il y a des gens. Luis Neira a eu connaissance du cas d'une femme qui a dû marcher pendant trois jours pour atteindre un centre médical, après avoir été mordue par un crocodile. Ou d'enfants qui ont marché pendant des jours pour pouvoir manger.

Et le pire dans tout ça? «Le pire, c'est quand une mère doit choisir lequel de ses enfants doit mourir», raconte le médecin. Généralement, elle choisit le plus fragile. Pour sauver les autres.