L'euro survivra-t-il à la débâcle financière qui vient de causer des émeutes en Grèce, et menace de s'étendre à l'Espagne et au Portugal?

Des commentateurs de renom ont sorti leurs lunettes noires, au cours des derniers jours, pour souligner la fragilité de la monnaie commune européenne. Et sinon pour prédire, du moins pour évoquer sa disparition.

Si l'Europe ne règle pas ses problèmes institutionnels, l'euro pourrait disparaître, a dit le Prix Nobel de l'économie Joseph Stiglitz dans une entrevue à la BBC.

 

«Jusqu'à récemment, la plupart des analystes, y compris moi-même, considéraient que l'éclatement de l'euro était impossible», écrit un autre Prix Nobel américain, Paul Krugman. Ce dernier se montre aujourd'hui beaucoup moins optimiste. Si les pays en crise ne parviennent plus à honorer leurs dettes, une réaction en chaîne pourrait les forcer à quitter la zone euro. «L'euro lui-même est-il en danger? En un mot: oui», conclut-il.

Ni l'un ni l'autre de ces deux Prix Nobel n'affirme que la mort de l'euro soit pour demain. Mais les deux constatent que la tempête grecque a fait voler en éclats bien des certitudes.

Dès le départ, la création d'une monnaie européenne commune reposait sur un pari périlleux: celui que des pays avec des traditions économiques et politiques divergentes seraient capables d'administrer, collectivement, une devise unique.

Pour assurer la stabilité de cette monnaie, on a imposé des conditions d'entrée à la porte de l'euro. Le déficit ne devait pas dépasser 3% du produit intérieur brut. La dette publique, pas plus de 60%.

Plusieurs pays ont pris des libertés avec ces exigences au fil des ans. Mais pas au point où l'a fait la Grèce, qui est allée jusqu'à travestir ses données économiques pour faire bonne figure. Et qui a vu son laxisme économique lui exploser en plein visage.

Dès les premiers jours de l'euro, il y a 11 ans, les sceptiques avaient prédit que la monnaie commune coulerait des jours heureux sous un ciel économiquement bleu. Mais que des turbulences économiques feraient forcément surgir des tensions et rivalités nationales.

Leurs prédictions se confirment aujourd'hui, alors que l'Allemagne, la «fourmi» européenne, a des réticences à voler au secours de la cigale grecque. Demain, le plan de sauvetage européen doit être soumis au vote des députés allemands. Il a toutes les chances d'être approuvé, mais avec des retombées politiques potentielles pour la chancelière Angela Merkel: selon les sondages, 56% des Allemands s'opposent à l'idée de remettre la Grèce à flot.

Que diront-ils quand il s'avérera que cette bouée de sauvetage est insuffisante? Ou qu'il faut aussi en lancer une aux Portugais, ou aux Espagnols? Comment convaincra-t-on les uns qu'ils doivent payer pour les écarts de conduite ou les négligences des autres?

Ces questions pointent vers le vrai noeud de la «tragédie grecque»: l'absence d'un cadre décisionnel commun. D'une sorte de ministère des Finances qui administrerait les politiques monétaires des pays qui ont pris le train de l'euro.

«Actuellement, les finances publiques relèvent du domaine souverain de chacun des États, il n'y a pas de gouvernement commun, pas de structures fédérales qui auraient un droit de regard sur les budgets de chaque pays», déplore Martial Foucault, spécialiste de l'Union européenne à l'Université de Montréal. D'où la réaction cacophonique à la débandade grecque.

Martial Foucault compare les turbulences actuelles à une sorte de crise d'adolescence. Pas une «crisette», mais une grosse crise, qui risque de mal finir. Mais qui pourrait aussi conduire à des réformes profondes, qui permettront à l'euro de ne plus être seulement la devise des temps heureux. Et lui donneront les outils nécessaires pour passer à travers de futures turbulences.