Rompus depuis la fin de 2008, les pourparlers de paix pourraient reprendre dans les jours qui viennent au Proche-Orient. C'est bien. Mais la vraie bonne nouvelle est ailleurs.

Lundi, à Bruxelles, un groupe de Juifs européens a présenté un «appel à la raison», critiquant la politique actuelle d'Israël et dénonçant la colonisation des territoires occupés.

 

En poursuivant ses constructions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, l'État hébreu commet «une erreur politique et une faute morale» qui mettent en péril sa propre survie, affirment les signataires du texte.

Jusqu'à maintenant, 4500 personnes ont souscrit à cet appel. Parmi elles, des célébrités telles que les écrivains et philosophes Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut, ou encore le psychiatre Boris Cyrulnik. Des voix fortes, traditionnellement pro-israéliennes, loin, très loin de quelque frange marginale de Juifs antisionistes.

Baptisée «J Call», pour European Jewish Call for Reason, l'initiative fait écho à l'organisation J Street, née il y a deux ans aux États-Unis. Dans les deux cas, des membres éminents de la diaspora juive ont voulu offrir un nouveau canal politique à ceux qui ne se reconnaissent plus dans le discours de leurs institutions officielles.

«Nous sommes attachés à un État à la fois juif et démocratique. Mais cet État ne sera plus possible si la colonisation se poursuit», plaide David Chemla, l'un des instigateurs de J Call.

Président de la section française du mouvement Paix Maintenant, David Chemla constate que «le temps joue contre Israël.» En gros, son analyse est la suivante: la multiplication d'implantations juives crée une mosaïque démographique de plus en plus inextricable. D'ici un an, ou deux, ou trois, la création d'un État palestinien viable, aux côtés d'Israël, deviendra impossible.

Israël fera alors face à un dilemme insoluble. S'il veut demeurer un État juif, il devra imposer sa volonté aux Palestiniens, potentiellement majoritaires sur l'ensemble du territoire. Ce serait la fin de la démocratie.

Mais s'il veut rester démocratique, Israël sera contraint d'abandonner son caractère juif. Bref, en multipliant les nouvelles constructions en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, l'État hébreu court à sa perte.

Les porte-parole habituels de la diaspora juive et le gouvernement israélien ont accueilli l'appel de J Call avec une brique et un fanal. «La réponse du monde libre au terrorisme islamiste n'est pas de courber la tête», a dit une ministre israélienne. D'autres ont dénoncé ce texte «dangereux» et ont qualifié ses auteurs de «gauchistes de salon et de communistes».

Pourtant, l'entrée en scène de ces nouveaux lobbys à la fois pro-israéliens et critiques de la politique de l'État hébreu, c'est de loin le phénomène le plus prometteur que l'on ait vu apparaître depuis des années, dans ce conflit qui ne cesse de s'embourber.

Depuis l'explosion de la deuxième intifada, il y a neuf ans, les organisations juives se sont radicalisées, interdisant toute dissension, au nom de la solidarité. En monopolisant le débat public, ce discours institutionnel, aligné sur des gouvernements israéliens de plus en plus intransigeants, donnait la fausse impression qu'il était représentatif de la majorité - et que la vaste majorité des Juifs français ou américains partagent cette intransigeance.

L'apparition de voix juives dissonantes donne une assise à une politique internationale plus musclée face à Israël. En d'autres mots: quand il réclame le gel de la colonisation, Barack Obama ne parle plus «contre» l'électorat juif américain, mais au nom d'une frange importante de cet électorat - qui n'avait, jusqu'à il y a peu, aucun canal pour s'exprimer.

Ces initiatives montrent aussi que les communautés juives ne parlent pas d'une seule voix et qu'elles sont ouvertes au débat - une bouffée d'air frais qui ne peut que «renforcer l'image d'Israël», comme le souligne David Chemla.

Ce dernier raconte avoir reçu des coups de fil de Juifs australiens, ou encore hongrois, qui envisagent de suivre l'exemple européen. À quand un «J Call» au Canada?