Il y a deux semaines, Witold Liliental a reçu chez lui, à Oakville, en Ontario, le coup de fil qu'il attendait depuis longtemps.

Le responsable du Comité polonais veillant sur les lieux de la mémoire nationale, Andrzej Przewoznik, l'a appelé pour lui dire qu'il était le bienvenu à la cérémonie de commémoration de Katyn, où quelque 22 000 officiers polonais ont été assassinés en avril 1940, sur ordre de Staline.

 

Witold Liliental n'était qu'un bébé quand son père, réserviste de l'armée polonaise, a été appelé à rejoindre son unité militaire, au lendemain du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Mais au lieu de combattre l'armée allemande, Antoni Liliental a été fait prisonnier de l'Armée rouge, qui avait elle aussi envahi la Pologne.

«Ma mère m'a toujours dit que papa reviendrait après la guerre», se souvient M. Liliental. Mais l'ingénieur de 71 ans n'a jamais revu son père, qui a péri sous les balles soviétiques dans la forêt de Katyn.

Pendant un demi-siècle, Moscou a tenté d'attribuer ce massacre aux Allemands. Dans la Pologne communiste, le sujet était tabou. À l'école, les élèves apprenaient la version officielle: les officiers polonais avaient été exterminés par les nazis. Mais personne n'y croyait, pas même leurs professeurs.

Et même si l'ancien président russe Boris Eltsine a reconnu, en 1990, la responsabilité soviétique de ce massacre, le sujet est resté litigieux et la Pologne n'a jamais eu droit aux excuses qu'elle espérait.

Cette année, il y a eu des «signaux» de la part de Moscou, dit Witold Liliental. Pour la première fois, mercredi, une cérémonie conjointe, à laquelle a pris part le premier ministre russe, Vladimir Poutine, et son homologue polonais, Donald Tusk, a permis d'honorer la mémoire des officiers assassinés.

Samedi, le président polonais Lech Kaczynski devait assister, comme chaque année, à la célébration polonaise, à laquelle étaient conviés de nombreux enfants des victimes.

Pendant toutes ces années, au cours desquelles il a fini par émigrer au Canada, Witold Liliental a été hanté par le souvenir de ce père qu'il n'a jamais connu. En ce 70e anniversaire du massacre, il a décidé de faire le saut: «Je voulais aller à Katyn, voir l'endroit où mon père a été abattu.»

«Tu as le choix: tu peux aller à la cérémonie de mercredi ou à celle de samedi», lui a dit le responsable de la commémoration, Andrzej Przewoznik, quand il lui a parlé, il y a deux semaines.

M. Liliental a eu la bonne idée de choisir le mercredi. S'il avait opté pour la cérémonie de samedi, il serait mort, aujourd'hui. Comme Andrzej Przewoznik, qui a pris le fatidique vol présidentiel...

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Lors de son passage à Katyn, Witold Liliental a pu voir les fosses communes où ont été jetés les corps des officiers abattus, et qui sont aujourd'hui recouvertes de plaques métalliques. Il a aussi trouvé la plaque commémorative portant le nom de son père.

Quand je l'ai joint hier, Witold Liliental se trouvait dans un hôtel de Varsovie, encore tout chamboulé par les événements. Ce qui l'a le plus ému, c'est quand un journaliste russe, après l'avoir interviewé à l'issue de la cérémonie, lui a tendu la main pour dire: «Pardon pour Katyn.»

«Ne me demande pas pardon, ce n'est pas ta faute», lui a-t-il répondu.

Hier, Witold Liliental se demandait si, dans un autre étrange revirement de l'Histoire, la tragédie de samedi n'allait pas aider à fermer ce chapitre douloureux des relations polono-russes.

Il a été très touché par les discours de condoléances de Vladimir Poutine et du président Dmitri Medvedev. «Ils ont décrété un deuil national, alors que ce n'est quand même pas leur deuil à eux», s'est-il réjoui.

Et surtout, il a été touché par un autre geste, hautement symbolique: pour la première fois, la télévision russe a diffusé hier, à une heure de grande écoute, le film Katyn, du réalisateur polonais Andrzej Wajda - dont le propre père, comme celui de Witold Liliental, fait partie des officiers polonais assassinés.

En perdant la vie dans la catastrophe, le président Lech Kaczynski a peut-être rendu un «ultime service» à son pays, avance le consul général de Pologne à Montréal, Tadeusz Zylinski. «Ça va changer le cours de l'Histoire, prévoit-il. Car aujourd'hui, tout le monde parle de Katyn.»