La scène s'est passée il y a deux ou trois ans, dans un village reculé de l'Éthiopie. En tournée avec une clinique mobile de planification familiale, Paul Bell se souvient avoir été assailli par des jeunes femmes impatientes d'obtenir leur consultation médicale.

Une de ces femmes s'est présentée avec trois petits enfants agrippés à ses vêtements. Dans ses bras, elle tenait un bébé. «Lui, je ne l'ai pas voulu, il est né seulement parce que je n'ai pas réussi à avoir mes contraceptifs», a-t-elle confié.

 

Les femmes de ce village comptaient sur des injections périodiques de contraceptifs pour éviter de tomber enceintes. Mais l'accès à ce produit étant irrégulier, il leur arrivait fréquemment de rater une dose ou deux.

«Très pauvre, cette femme n'avait pas les moyens de nourrir quatre petits. Son nouveau bébé la mettait sous pression, mais il mettait aussi en péril la santé de ses trois autres enfants», raconte Paul Bell, qui est porte-parole d'International Planned Parenthood - un organisme établi à Londres qui soutient des cliniques de planification familiale dans le monde.

À elle seule, cette histoire illustre à quel point la santé des mères et des enfants est inextricablement liée à la question du contrôle des naissances. «Ce que nous voulons, c'est sauver des vies en offrant aux femmes et aux enfants des soins médicaux de qualité», ont martelé les députés conservateurs, hier, lors du débat sur la motion par laquelle les partis de l'opposition voulaient forcer Ottawa à inclure nommément la planification familiale dans son initiative visant à promouvoir la santé maternelle et infantile sur la planète.

Mais les députés conservateurs ont choisi de tourner autour du pot. Ils ont soigneusement évité de prononcer le mot tabou: contraception. Et de dire qu'empêcher la naissance d'enfants dont la venue au monde ne peut que rendre extrêmement vulnérables les mères et les autres enfants déjà nés, c'est aussi une façon de sauver des vies.

Depuis que Stephen Harper a lancé son projet, en janvier, son gouvernement n'a cessé d'éluder la question du contrôle des naissances. «Nous nous concentrons sur la vie des mères et des enfants», a d'abord répondu la ministre de l'Aide internationale, Bev Oda, à ceux qui lui demandaient si le projet aurait un volet «planification familiale».

«La planification familiale n'a rien à voir avec ça», a fini par dire le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, forçant le gouvernement à rectifier le tir. La version officielle, réitérée hier par la ministre Oda, stipule donc que la planification familiale n'est pas exclue et que «la porte est ouverte».

Chaque année, quelque 75 millions de femmes tombent enceintes sans le vouloir dans des pays non développés, affirme un récent rapport du Guttmacher Institute. En prévenant 50 millions de ces grossesses, on éviterait 22 millions d'avortements, 7 millions de fausses couches, 1,4 million de morts infantiles et 142 000 morts des suites d'un accouchement ou d'un avortement mal pratiqué, estime le rapport.

Selon le même calcul, un demi-million d'enfants éviteraient ainsi de perdre leur mère - ce qui serait excellent pour leur santé.

Ces chiffres ne sont que des estimations, mais ils montrent bien que santé et contrôle des naissances vont de pair. Et que la politique de la «porte ouverte», consentie du bout des lèvres par le gouvernement Harper, manque singulièrement d'enthousiasme.

Paul Bell a passé une partie de la journée d'hier rivé à l'écran de son ordinateur, dans son bureau londonien, pour suivre le débat de la Chambre des communes. Il faut dire que son organisme est directement concerné: International Planning Parenthood reçoit, en effet, du financement de l'ACDI - 6 millions, sur un budget de 100 millions de dollars.

Ou plutôt, recevait: l'enveloppe de l'ACDI est épuisée depuis la fin du mois de décembre. L'organisme avait présenté une nouvelle demande en juin. Depuis, c'est le silence.

International Planning Parenthood était depuis longtemps habitué à servir de ballon politique aux États-Unis, où il se faisait couper les vivres chaque fois que le Parti républicain revenait au pouvoir. Les deux mandats de George W. Bush ont eu des conséquences concrètes: l'organisation a dû fermer une douzaine de ses cliniques.

Mais pour la première fois, l'engagement du Canada ne semble plus acquis. L'ACDI n'a pas dit non. Mais elle n'a pas dit oui non plus. Cette politique de la sourde oreille peut durer encore deux ou trois mois. «Après, nous devrons fermer certains de nos services», avertit Paul Bell.

Ottawa veut vraiment inclure la planification familiale dans sa politique de santé maternelle et infantile? Au-delà des mots, nous pourrons juger d'après les gestes.

agruda@lapresse.ca