À force de considérer les chartes des droits comme des lois étrangères et imposées au Québec et d’utiliser les clauses dérogatoires de façon préventive, on est en train de banaliser le non-respect des libertés fondamentales.

Ainsi, le gouvernement du Québec, par la voix de la ministre responsable du Centre des congrès de Québec, Caroline Proulx, a annulé un contrat avec un groupe antiavortement qui voulait y tenir un rassemblement. La consigne est aussi valable pour d’autres lieux qui appartiennent au gouvernement, comme le Stade olympique.

Selon Mme Proulx, « parce que c’est contre les principes fondamentaux du Québec, ce type d’évènement-là n’aura pas lieu chez nous ». Sa collègue de la Condition féminine, Martine Biron, en rajoutait : « On est un gouvernement résolument prochoix, alors il faut être conséquent », disait-elle. Comme si les orientations du gouvernement devaient nécessairement être celles de chacun des Québécois.

Le premier ministre Legault allait dans le même sens : « On n’ira pas permettre à des groupes antiavortement de pouvoir faire des grands spectacles dans des organismes publics. »

Chose remarquable, les trois partis de l’opposition ont été unanimes à approuver la décision du gouvernement. Le député Pascal Bérubé en a rajouté une couche, affirmant : « Ça envoie un message fort, l’État, à travers le Centre des congrès, n’a pas à accueillir un tel groupe qui fait la promotion de valeurs qui vont à l’encontre de celles de l’État. »

Mais la question en cause ici n’est ni l’avortement ni le droit des femmes d’y recourir. Le principe en cause, c’est la liberté d’opinion et d’expression.

Une liberté garantie par la Charte québécoise des droits et libertés à son article 3 : « Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion. »

Or, la liberté d’opinion ne veut rien dire si elle doit être limitée à des principes fondamentaux qui auraient été approuvés par l’État. Qu’il soit d’accord ou pas, l’État n’a pas à censurer l’expression de ces opinions.

On n’a pas besoin de protéger le discours de ceux qui pensent comme tout le monde. C’est celui des gens qui dérangent à qui on doit garantir le droit de s’exprimer.

La question de l’avortement fait partie du débat public dans pratiquement tous les pays, que l’avortement y ait été légalisé ou pas. C’est aussi un sujet qui touche les croyances religieuses de certaines personnes. Et si l’État a tout à fait le droit de légiférer pour légaliser l’avortement, cela n’implique aucunement que tout débat sur cette question soit désormais interdit et que les gens qui s’opposent à l’avortement n’auraient pas le droit de le manifester publiquement.

La très grande majorité des Québécois sont prochoix (en passant, l’auteur de ces lignes aussi !), mais là n’est pas la question. Mais on ne peut tout simplement pas, dans une démocratie, bâillonner ceux qui ont des opinions divergentes ou contraires à celles de la majorité, fût-elle écrasante.

Et quand on commence ça, on s’arrête où ? Est-ce qu’on empêchera des syndicats de louer une salle d’un édifice public pour contester une loi spéciale de retour au travail, par exemple ? Est-ce qu’un groupe anglophone contestant la loi 96 ne pourrait pas se réunir ?

D’ailleurs, quels sont-ils, ces « principes fondamentaux du Québec » ? Les ministres, et même le premier ministre, n’ont jamais même tenté de répondre à la question.

Chose certaine, en droit, l’expression ne veut absolument rien dire et elle ne tiendrait pas une minute devant un tribunal. Le principe même de « principes fondamentaux du Québec » ne devrait pas avoir sa place.

Les législateurs expriment les principes fondamentaux dans des textes de loi, qui doivent contenir des définitions et des limites claires et bien définies. Pas avec une notion floue qui se résume, dans les faits, à « ce qui fait notre affaire à ce moment-ci ».

Certains ont tenté d’invoquer la laïcité de l’État à l’appui de cette décision. Sauf que ça n’a aucun rapport. La laïcité signifie la neutralité de l’État devant toutes les religions, c’est-à-dire d’en endosser ou de n’en combattre aucune.

Mais ce qui est le plus triste dans tout ça, c’est qu’il ne se soit trouvé personne, dans toute l’Assemblée nationale, pour défendre les principes de la Charte québécoise des droits et libertés.

Même les trois partis de l’opposition, qui d’habitude ne perdent pas de temps pour trouver la faille dans l’argumentation du gouvernement, ont tout laissé passer et ne se sont même pas demandé s’il n’y avait pas un principe important qui était en cause. Pas même le Parti libéral qui s’est longtemps défini comme le parti des libertés fondamentales et qui se cherche tellement, ces temps-ci, qu’il n’est plus capable de reconnaître ses propres valeurs quand elles sont en cause.

Ce silence est gênant.