La conférence C2Montréal vient de prendre fin. Trois superbes journées où le commerce et la créativité font bon ménage. Des participants de plus de 70 pays s’échangent des coordonnées et des promesses de rester en contact. C2 est la bella figura d’une partie transformatrice de Montréal.

Quelques jours avant le début de la conférence, un journaliste m’a contacté pour me demander si Olivier Royant allait y participer. La question était légitime. À deux reprises, Olivier avait été conférencier et à chaque fois, comme tous ses autres passages dans la métropole, ses visites étaient ponctuées d’une série d’interviews qu’il accordait à des médias québécois et canadiens. C’est un exercice, vite devenu une tradition, qu’il adorait et que je connaissais bien. J’en étais l’architecte. Olivier Royant était le patron du magazine Paris Match, jadis mon client.

« Non. Monsieur Royant ne sera pas à C2 cette année. Il est mort. » À peine les mots prononcés que le journaliste se confondait en excuses. Je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas avoir su que, le 30 décembre 2020, un cancer avait fauché la vie de celui qui était devenu un de mes meilleurs amis. Que mon amitié avec Olivier était unique. Profonde. Insoupçonnée. Le journaliste ne pouvait non plus savoir que sa question allait m’anéantir et oblitérer tous les autres souvenirs de la journée de son appel.

Il y a quatre thèmes qui m’habitent et qui nourrissent de plus en plus mes réflexions. L’amour, le pardon, la rédemption et le deuil. Notre relation avec chacun de ses thèmes nous forge et nous distingue les uns des autres.

Nos interactions personnelles avec ces thèmes nous définissent. Enfin, je crois.

L’art, sous toutes ses formes, a toujours été et demeure un excellent vecteur pour comprendre, déconstruire, rebâtir et exprimer l’amour. La foi et la religion, elles, ont souvent jeté les bases des principes de la rédemption et du pardon offrant une forme d’ébauche pour nous aider à mieux les naviguer, les adapter et les appliquer.

Mais pour le deuil, c’est plus complexe. Pendant longtemps, le sujet a été tabou et semble avoir été amputé de presque tout canevas rendant non seulement sa gestion, mais aussi sa compréhension plus difficile.

La pandémie a été impitoyable pour des millions de personnes à travers le monde. À cela, il faut ajouter le nombre de personnes qui les aimaient et qui ont été confrontées à un deuil souvent non conventionnel et plus cruel que les autres, dicté par les restrictions sanitaires. Et voilà qu’en pleine COVID-19, le pays le plus influent du monde s’est choisi un nouveau dirigeant.

Il y a certes une liste recto verso de raisons qui expliquent la victoire de Joseph Robinette Biden. Parmi elles, le grand besoin qu’avaient les électeurs d’avoir un Consolateur en chef.

Dès le début de la pandémie et pendant la campagne présidentielle, son adversaire n’ayant jamais eu ni le souci ni la capacité de réconforter les trop nombreux endeuillés.

Hélas et malgré lui, la perte est un sujet que Joe Biden maîtrise bien. Il y a d’abord été confronté de manière violente en 1972, alors que sa première épouse Neilia et leur fille Naomi périssaient dans un accident de voiture. Puis en 2015, lorsqu’il était vice-président des États-Unis, son fils Beau succombait à un cancer du cerveau. Dans Promise Me, Dad, Biden père raconte, sans réserve, les effets débilitants du deuil, levant ainsi le voile sur l’incompréhensible et ce qui avait trop souvent été des non-dits. À la sortie du livre en 2017 et depuis, le président a souvent abordé le sujet – au bénéfice de ceux qui, sans le savoir, avaient besoin de l’entendre.

Dès lors, sur la place publique, nous assistons à un certain déliement de langues et à un plus grand partage d’expériences avec le deuil.

À l’âge de 10 ans, Stephen Colbert – le populaire animateur de télévision – a perdu son papa et deux de ses frères dans un accident d’avion. C’est une histoire qu’il a partagée avec ses téléspectateurs, un soir en 2019, en recevant comme invité Anderson Cooper – le célèbre journaliste de CNN – à son émission. Cooper, dont la mère était récemment décédée, avait aussi perdu son père à 10 ans et 10 ans plus tard, son frère Carter. De manière spontanée et touchante, les deux hommes ont parlé de deuil et de pertes, comme deux vétérans de guerres parlent de blessures de combats.

Regardez Stephen Colbert chez Anderson Cooper, à CNN

Peu de temps après, c’était au tour d’Anderson Cooper de recevoir Colbert, pour reprendre la conversation et l’approfondir. L’extrait de l’entretien dans lequel Stephen Colbert dira que « le deuil était une extension de qui nous sommes pour le reste de notre vie » est devenu viral et le Washington Post le qualifiera de meilleur moment de télévision de l’année 2019.

Mais ce que révélera surtout ce grand moment télévisuel est ce besoin collectif d’entendre parler plus ouvertement et honnêtement du deuil. D’arrêter de le noyer dans de grotesques banalités comme celle qui prétend qu’avec le temps, c’est plus facile.

C’est faux. Avec le temps, c’est différent, c’est tout.

Écoutez le balado sur le deuil d’Anderson Cooper

Alors quand, à l’aube de la fête des Mères il y a quelques semaines, des enseignantes de deuxième année d’une école primaire de Québec suggéraient une initiative pour protéger des enfants qui n’avaient peut-être pas ou plus de maman, je n’ai pu qu’y reconnaître – au-delà de son exécution – un acte important et de grande bienveillance. Comme celle de la fête des Pères, ces célébrations sont importantes, mais elles resteront insupportables pour plusieurs, tant que nous n’apprendrons pas à mieux parler du deuil.

Assistons-nous, grâce à ces personnalités publiques, à une nouvelle inclination ? Si c’est le cas, espérons qu’elle y est pour rester et célébrons que c’est une tendance qui pourrait nous faire du bien.

Nota bene : Cet essai marque le début d’une pause estivale. En attendant de vous retrouver au mois d’août, un bel été à tous.

Lisez l’essai de Shaun Usher, Letters of note : Grief (en anglais)