Le malaise que l’on ressent en lisant le premier rapport de David Johnston sur l’ingérence étrangère dans le processus politique canadien peut se résumer à une phrase que le rapporteur spécial a prononcée pendant sa conférence de presse.

« Une enquête publique n’aurait pas le degré de transparence requis » pour répondre aux attentes de la population canadienne, disait-il. Donc, si on en croit le rapporteur spécial, il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas de transparence du tout.

Il est vrai qu’il est difficile de faire des enquêtes publiques sur des questions de sécurité nationale. M. Johnston a raison sur un point : il est impossible de donner au public un accès complet à toutes sortes de documents qui sont – et doivent demeurer – confidentiels.

C’est difficile de tenir une enquête publique dans de telles circonstances, mais ce n’est pas impossible. Dans les années 1970, la commission Macdonald sur les services de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada et, au Québec, la commission Keable sur le travail des forces policières après la crise d’Octobre 1970 ont fait exactement cela.

Le fait d’avoir une preuve documentaire qui ne peut être divulguée – à moins d’être rigoureusement caviardée – n’empêche pas la tenue d’audiences publiques.

Il faut alors faire confiance aux commissaires pour poser leurs questions de façon à ne pas mettre en péril la sécurité de l’État.

Au Congrès américain, malgré la partisanerie effrénée qui y sévit, on a réussi à faire des enquêtes importantes, entre autres sur les activités illégales de la CIA. Dans les années 1970, en particulier, les rapports Church et Pike sur les agences de renseignement sont passés à l’histoire sans pour autant compromettre la sécurité nationale de nos voisins du Sud.

Les citoyens sont tout aussi capables de faire la part des choses. Ils savent qu’on ne pourrait pas tout publier. Mais ils veulent tout de même que le gouvernement mette en place un mécanisme d’enquête qui fera preuve d’un minimum de transparence sur une question qui touche l’intégrité de nos processus démocratiques.

Bref, si on veut avoir une enquête publique, on peut avoir une enquête publique. Ce sera certainement compliqué, mais c’est possible.

Il aurait été intéressant d’entendre les partis de l’opposition le dire haut et fort, mardi, et offrir leur collaboration pour ce qui serait une enquête publique qui serait nécessairement une mission délicate.

En lieu et place, ils ont préféré remettre en question l’intégrité de M. David Johnston et de ses liens avec la famille Trudeau. C’est dommage et déplacé. Le dossier de service public de M. Johnston dans nombre de fonctions importantes ne justifie aucunement ces attaques personnelles.

En passant, à qui M. Johnston serait-il le plus redevable ? Envers ses « amis de ski de la famille Trudeau », comme le dit le chef conservateur ? Ou envers le Parti conservateur et Stephen Harper qui l’a élevé au rang de gouverneur général ? Poser la question, c’est y répondre.

Mais on doit quand même avoir une lecture critique du document qu’il vient de publier.

D’abord, il y a une forme désagréable d’élitisme. Comme si les Canadiens n’avaient pas vraiment d’intérêt à être informés – dans les grandes lignes, évidemment pas dans le menu détail – du degré d’ingérence étrangère au Canada et, en particulier, sur le processus démocratique et les élections.

Encore un peu, et on entendait la célèbre réplique de Jack Nicholson dans A Few Good Men : « Vous ne pouvez pas supporter la vérité. »

Il y a aussi quelques raccourcis dans le rapport de M. Johnston qui mériteraient une étude et des recommandations plus élaborées.

Quand on dit que « les tentatives d’ingérence étrangère sont omniprésentes, particulièrement de la part de la République populaire de Chine », on ne peut ensuite soutenir qu’une simple amélioration de la manière dont le gouvernement canadien devrait modifier ses pratiques pour que l’information circule mieux sera suffisante pour contrer cette ingérence.

De même, quand le rapport affirme : « En général, la République populaire de Chine n’a pas de préférence pour les partis [politiques canadiens] », c’est un peu court. L’ancien ambassadeur du Canada en Chine, Guy Saint-Jacques, notait mardi que, pendant qu’il était en poste à Pékin, la préférence des autorités chinoises envers les libéraux était assez claire. Ce que l’on sait des tentatives chinoises de s’immiscer dans les élections canadiennes semble lui donner raison.

Pour la suite du processus, le premier ministre Justin Trudeau propose – sans trop donner de détails – de faire prêter serment aux chefs des partis de l’opposition pour leur donner la classification « top secret » qui permet l’accès à tous les documents.

C’est un peu gros comme piège. Une fois qu’ils auront prêté serment, les chefs de parti ne pourront plus discuter en public des renseignements qui leur auront été communiqués. En fait, voici une raison de plus d’avoir une véritable enquête publique, malgré tous les risques, mais avec tous les avantages que cela comporte.