Non, je ne parlerai pas des dernières frasques d’un animateur de radio-poubelle ni des dérapages des trolls qui sévissent sur Twitter. Je ne vous parlerai pas non plus du comportement indécent des super-riches de la planète, qui se donnent en spectacle et dont parle avec beaucoup d’à-propos l’essayiste Dahlia Namian dans un livre récent, La société de provocation⁠1.

Tout cela est vulgaire, bien sûr, mais – hélas – plus ou moins attendu. La vulgarité dont je veux parler a quelque chose de plus subtil, elle vient de gens dont on attend mieux et qui nous déçoivent.

Prenons le premier ministre François Legault et le fameux troisième lien. Je ne me souviens pas d’une promesse politique aussi vigoureusement défendue en campagne qui aura été reniée aussi brutalement. Oui, on a déjà vu des politiciens revenir sur leur parole, mais il y a la manière. Habituellement, ils commencent par semer le doute, soufflent le chaud et le froid, créent une commission, commandent un rapport, laissent passer du temps, avant de reconnaître l’évidence. Ici, la volte-face a été étonnamment rapide.

Comprenez-moi bien : la construction d’un troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis n’était pas justifiée, dans la mesure où elle n’allait rien régler, ni à moyen ni à long terme.

Seulement, pourquoi promettre quelque chose qu’on n’avait pas l’intention de réaliser, sur la base d’études partielles qu’on refusait de montrer, sinon pour faire des gains politiques à court terme ?

Le fait même que le premier ministre ait refusé de s’excuser et ait livré ses deux recrues vedettes – Bernard Drainville et Martine Biron – en pâture aux électeurs et aux médias de la Rive-Sud de Québec en dit long sur la cruauté du jeu politique. On aurait dit que M. Legault venait de découvrir Machiavel2. (D’ailleurs, la mairesse de Montréal s’est empressée par voie de communiqué de féliciter le gouvernement de sa volte-face, en oubliant qu’elle-même ne dit plus rien de son projet de ligne rose depuis un bon moment déjà ; c’était pourtant l’engagement phare de son parti lors de la campagne de 2017, qui devait se réaliser dès 20253. Or la seule ligne rose qu’on puisse voir à Montréal est faite de cônes de construction… de couleur rose plutôt qu’orange, sur des rues en travaux.)

Parlant du ministre Drainville, j’ai perçu dans les larmes versées à la suite de la volte-face de son gouvernement au moins autant de regret pour un projet abandonné que la douleur d’avoir été trahi. Car comment imaginer qu’au moment de son recrutement par le bureau du premier ministre pour la circonscription de Lévis, on ne lui ait pas garanti que le troisième lien allait se faire, en expliquant qu’il fallait un champion pour défendre ce projet ambitieux ? Le fameux « Lâchez-moi avec les GES » lancé en campagne par le candidat Drainville était la preuve de cette assurance : il venait en politique pour faire de grandes choses, à commencer par ce tunnel autoroutier. Et puis soudain, on l’imagine, le téléphone a sonné, la décision est tombée, et il a fallu ravaler sa colère.

La colère est sans doute ce que ressentent les syndicats et les employés de la fonction publique provinciale en ce moment. Car tandis que les députés s’apprêtent à voir leur salaire augmenter de 30 %, et de manière rétroactive, excusez du peu, les employés du gouvernement ont droit à des miettes : 9 % sur cinq ans, c’est-à-dire beaucoup moins que l’inflation.

Pour les députés, il n’est pas question de « rattrapage », comme l’évoquait le premier ministre pour justifier la décision de son gouvernement, mais de dépassement, car à 131 000 $ par année, ils seront les mieux payés au Canada.

Cette semaine, lors d’une table ronde organisée par Le Devoir, le chroniqueur Michel David demandait au ministre Drainville pourquoi les enseignants ne pouvaient pas être payés aussi bien que leurs homologues ontariens alors que le Québec était assez riche pour récompenser ses députés. « Je trouve la comparaison boiteuse et si je m’appelais Michel David, je dirais qu’elle est un tantinet démagogique. Michel, si tu me permets, je vais te tutoyer, a poursuivi M. Drainville, tu compares vraiment la job de député avec la job d’enseignant ?4 » La réponse du ministre réussissait l’exploit d’être à la fois démagogique et vulgaire : non, il ne s’agissait pas de comparer les enseignants du Québec aux députés, mais aux enseignants des autres provinces, l’Ontario en particulier, qui gagnent nettement plus. M. Drainville a eu l’élégance de s’excuser ensuite5, mais n’a rien fait pour corriger l’impression d’iniquité.

Parlant de deux poids, deux mesures, comment interpréter le fait que les étudiants étrangers qui veulent fréquenter une université québécoise subissent des taux de refus record de la part du gouvernement fédéral, les demandes rédigées en français ayant deux fois plus de chances d’être refusées que les demandes faites en anglais ? Et comment expliquer que parmi les étudiants francophones refusés, ce sont essentiellement ceux en provenance d’Afrique qu’on écarte (à près de 80 %)6 ? Apparemment, les fonctionnaires du gouvernement fédéral craindraient que ces étudiants ne rentrent pas dans leur pays après leurs études. Comme si les études ne constituaient pas une des voies privilégiées de l’intégration à la société ! Pendant ce temps, le nombre d’étudiants étrangers a doublé au Québec depuis 10 ans, essentiellement à l’avantage des universités anglophones. Cherchez l’erreur. Dans ce beau Canada multiculturel et ouvert sur le monde, il y a un mot pas beau du tout, vulgaire même, pour décrire la discrimination faite sur la base de la langue et de l’origine. Je vous laisse le soin de le trouver.

1. La société de provocation. Essai sur l’obscénité des riches, Dahlia Namian, Lux Éditeur, « Lettres libres », 2023

2. Je ne suis pas toujours aussi dur envers le premier ministre, dont j’ai même déjà fait l’éloge.

2. Lisez « Politique : le retour de la décence ? » 3. Lisez « Projet Montréal promet sa ligne rose en 2025 » 4. Lisez « Table éditoriale – Bernard Drainville, ministre de l’Éducation » 5. Lisez le tweet de Bernard Drainville 6. Lisez « Permis d’études pour étudiants étrangers – La moitié des demandes pour le Québec refusées par Ottawa »