Puis, c’était bien, dimanche, vos cartes en papier de construction, vos colliers en macaroni ? Tout va bien, maintenant que le #FêteDesMèresGate est du passé ? Le Québec a déchiré sa légendaire chemise la semaine dernière parce que deux enseignantes malhabiles en communication avaient annoncé leur volonté de ne célébrer ni mères ni pères, mais les parents, par sensibilité envers certains enfants vivant des situations particulières. Devant le tollé, elles ont reconsidéré leur décision, mais ce fut le psychodrame de la semaine.

La mécanique habituelle s’est mise en place : les trolls malveillants des réseaux sociaux, les chroniqueurs habituels affirmant que la civilisation occidentale basculait, le politicien opportuniste s’emparant de l’affaire pour faire un lien halluciné avec les drag queens, le ministre sommé de se prononcer…

Comment une affaire aussi insignifiante, motivée par une bonne dose de bienveillance et plombée de son lot de maladresses, a-t-elle pu nous emporter dans ce vortex médiatico-politique ?

La fête des Mères est passée. Les colliers en pâtes colorées ont été jetés en toute discrétion, mais il convient de s’interroger sur les mécanismes et les effets de ce énième épisode. Aux extrêmes du spectre idéologique (cette fois-ci, à droite), nous vivons dans l’instrumentalisation constante de microévènements gonflés à l’hélium par les spécialistes de l’indignation ; des pistes cyclables aux drags qui lisent des contes aux enfants, des cônes orange à l’appropriation culturelle, de monsieur Patate aux carbonaras inclusifs.

L’analyse se fait selon deux modes. Ou bien le microscope est braqué sur un microphénomène et s’en suit une guerre des chroniqueurs, avec des réseaux sociaux à feu et à sang, ou alors, on est dans la macroexplication : thèse du grand remplacement ou délire sur les théories du genre, qui seraient selon certains les principales menaces à l’Occident en général, et à la société québécoise en particulier. Dans les deux cas de figure, ça tressaute, ça s’emballe, s’invective, ça pose des jugements péremptoires.

Si on regardait posément entre les deux, si on sortait des chambres d’écho, on verrait pourtant une société qui change, pour de bonnes raisons la plupart du temps, avec le désir sincère de faire de la place à tous, de s’ouvrir face à l’autre. On verrait des craintes, parfois fondées, qui demandent écoute et considération, mais surtout, une volonté de faire progresser le bien commun.

Il nous faudrait poser sur nous un regard plus doux, plus généreux, moins rageur. Penser autrement qu’en silos idéologiques, en positions campées. Car oui, il y a beaucoup de chantiers de déconstruction à gauche, et autant de construction de mythes délirants à droite.

Et dans tous ces bouleversements bien réels que nous traverserons, mineurs ou majeurs, il y a des questions à se poser qui ne sont pas celles que nous abordons pendant que nous nous abîmons dans le « scandale » du jour.

Ainsi, au hasard : notre société est-elle dotée de suffisamment d’empathie ? Sommes-nous condamnés à appréhender le réel à travers des cases rigides et des principes militants inflexibles ? Et surtout : quel est l’effet de tous ces psychodrames hebdomadaires instrumentalisés à droite comme à gauche sur la vie réelle des gens ? On a l’impression haletante d’être des agités du bocal, qui tressautent d’un scandale à l’autre. Ça finit par laisser des cicatrices sur notre grand corps social, des séquelles dans la tête des gens, épuisés et las.

Nous ne nous posons plus les vraies questions.

L’industrie de l’indignation s’est arrogé le monopole de la réaction.

Avec ses grandes gueules, ses plumes déchaînées, ses hordes de guerriers virtuels, ses politiciens crinqués, ses clics et ses retweets ; son fonds de commerce prospère. Débusquer ou créer LE sujet juteux qui ajoutera une pièce à l’édifice de la controverse est un talent à cultiver.

Pendant ce temps, le lien social s’effrite. Le citoyen ordinaire se dit que l’état du monde, de son monde, se dégrade, qu’il est menaçant. Il se recroqueville, alors que sa vraie nature serait de faire preuve d’empathie envers les autres, et de vouloir alléger les sentiments d’enfants aux prises avec des situations familiales complexes en faisant des bricolages avec des pâtes inclusives. Mais le chroniqueur lui dit que c’est la guerre, dehors !

Il faut cesser d’hystériser notre lecture du monde qui nous entoure. Il faut respirer par le nez, reprendre nos esprits, nos opinions personnelles. Il paraît que nous sommes obsédés par la santé mentale, ces temps-ci, au Québec ? Ben, il faudrait regarder du côté de l’industrie de l’indignation. Elle produit du bruit, de la crispation, de l’inquiétude, voire de la haine parfois. Disons qu’elle n’aide pas l’équilibre commun.

Les bricolages, eux, oui.