Dans les années 1990, une dramatique expérience chinoise nous a donné un aperçu de ce à quoi ressemblerait un monde sans pollinisateurs. Cet évènement très connu des écologistes mérite d’être rappelé.

La pomiculture de la région chinoise du Maoxian traversait une grande période de turbulences. En cause, un anéantissement des populations d’abeilles avait forcé les producteurs de pommes à trouver des solutions de rechange. On engagea alors des milliers d’ouvriers pour remplacer les abeilles. Juchés sur des échelles, ils devaient passer des journées à polliniser manuellement les fleurs de pommier. Un travail colossal qui eut le mérite de rappeler à quel point le rôle des abeilles dans la biosphère est irremplaçable.

En effet, au plus vaillant des humains, il fallait une journée entière pour polliniser 5 à 10 arbres. Une grosse et éprouvante besogne que les abeilles faisaient discrètement sans demander de salaire aux cultivateurs. Devant l’ampleur de la tâche, beaucoup de producteurs de pommes décidèrent simplement d’abattre les arbres fruitiers et de fermer boutique.

Cette mésaventure fit réaliser aux paysans de cette vallée qu’il était souhaitable de diversifier les cultures dans leur région pour permettre aux abeilles de s’y réinstaller.

Ils y cultivèrent du trèfle, des pruniers et diverses espèces de légumes qui favorisèrent petit à petit le retour des bourdonnements.

Il y a dans la littérature des chiffres très populaires pour mieux nous rappeler le gigantisme du travail abattu par les abeilles dans la biosphère. Pour fabriquer un kilogramme de miel, il faut quatre litres de nectar. Or, une telle récolte nécessite aux abeilles de 20 000 à 100 000 voyages entre la ruche et les fleurs. Quotidiennement, une ruche abritant 30 000 butineuses visite 21 millions de fleurs. Ce qui ne représente pas loin de 700 fleurs par ouvrière. Cette colossale besogne peut se faire sur un rayon de 3 kilomètres.

Au-delà de la production de miel, il est important de rappeler aussi que de ce travail de pollinisation dépendrait 35 % de ce que nous mangeons. Même si l’exactitude de ces chiffres est sujette à discussion dans le monde des écologistes et des apiculteurs, ils ont le mérite de mettre une image sur l’importance de protéger les abeilles, mais aussi les autres bestioles pollinisatrices, dont des papillons, mouches, fourmis, coléoptères, guêpe, etc.

En attendant que le courage politique amène nos décideurs à interdire les molécules responsables du génocide des pollinisateurs, nous pouvons fournir notre petite part d’efforts. Si vous voulez participer, je vous propose d’être solidaire des hyménoptères en développant de la tendresse pour les pissenlits.

L’industrie de la pelouse et tout ce qu’il faut y ajouter pour qu’elle reste verte et sans tache, y compris le gaspillage d’eau, a réussi à graver dans nos cerveaux que le pissenlit est une mauvaise herbe.

Or, le concept de mauvaise herbe est l’expression d’un épouvantable anthropocentrisme. C’est une discrimination végétale qui n’a aucun sens. Le pissenlit est une des plantes les plus importantes et généreuses avec le pollinisateur. C’est une espèce victime d’une incompréhensible exclusion dans nos platebandes. Ce biais inconscient bien intégré, tout le monde avance avec comme mission de les arracher ou de les arroser de produits chimiques.

Tous ceux qui éprouvent de la difficulté à visualiser ce qu’est un biais systémique devraient prendre l’exemple du pissenlit pour comprendre. Pourquoi sommes-nous si intolérants avec le pissenlit ? Pourquoi dérouler le tapis rouge à la marguerite et s’acharner sur le pissenlit ? La réponse qu’on me donne le plus souvent est : « Je ne sais pas, mais ç’a toujours été de même. »

Il faut que ça change. On ne peut répéter sur tous les toits qu’il faut sauver les pollinisateurs et s’acharner sur ce qui sustente les abeilles. Tolérer les pissenlits, c’est tendre la main aux abeilles. Entendons-nous bien, je ne cherche pas ici à culpabiliser personne. J’ai moi-même adhéré à cette discrimination pendant quelques années avant de signer un pacte de non-agression avec le pissenlit.

Je vous propose de signer ce pacte.

En attendant, je vous souhaite un beau printemps et un bel été remplis de pissenlits !