L’avenir de la télévision est un sujet qui préoccupe et qui empêche de dormir celles et ceux qui dirigent nos réseaux ces temps-ci. Les téléspectateurs sont âgés, les jeunes ne la regardent plus. Ce faisant, c’est tout un star system, une culture québécoise qui est menacée.

Il est beaucoup question, ces jours-ci, de l’avenir de la culture québécoise, à l’heure où le monde entier s’abonne aux Netflix, Disney et autres plateformes mondialisées. Comment conserver la culture qui nous distingue ?

Le plus récent en date à s’en inquiéter est Denis Dubois. C’est un poids lourd de la télé québécoise, dans le milieu depuis 30 ans. Actuel VP aux contenus chez Québecor, auparavant directeur de la programmation à Télé-Québec, il a aussi travaillé chez Astral. Jeudi dernier, au Congrès de l’Association québécoise des producteurs médiatiques, à la veille de la retraite, il s’est ouvert le cœur. Il a parlé du rythme de production effréné qui fait que tant de bonnes émissions passent inaperçues et que l’argent se gaspille. Il est revenu sur la thèse très PKPienne de laisser la publicité et les produits attirants au privé, afin que les télés publiques (SRC et Télé-Québec) consacrent leurs énergies à faire des émissions plus nichées, plus innovantes. Tout est relaté par Marc-André Lemieux⁠1.

Denis Dubois s’est surtout montré inquiet pour notre identité culturelle, qui pour lui passe beaucoup par la télévision.

On a perdu des générations entières de téléspectateurs, et maintenant, nous risquons de perdre une culture, un ton, un humour. Dubois est extrêmement lucide quand il tisse ce lien inextricable entre la culture québécoise et la télé d’ici.

Depuis sa naissance dans les années 1950, la télé a propulsé la culture canadienne-française, puis québécoise, dans les foyers et les esprits. Elle en a été le vecteur, puis la créatrice. Elle a imposé une chose très rare, que le Canada anglais ne connaît pas : un vedettariat. Elle s’est promenée entre culture populaire et culture plus soutenue, faisant longtemps œuvre d’éducation et de créatrice d’identité. Elle a ouvert des portes avant de se refermer de plus en plus sur elle-même, narcissique.

Notre culture est en concurrence avec la culture mondiale, accessible sur toutes les plateformes numériques. La promotion de notre culture n’est plus la mission collatérale de notre télé. Elle est juste totalement occupée à survivre dans un marché féroce.

Tout le monde cherche LA solution, LA réponse : ce qui attirera les 18 à 34 ans. Ceux qui n’ont plus de télévision ne consomment plus en mode linéaire, mais à la carte, sur d’autres supports, plein de plateformes. La télé traditionnelle se meurt, il faut le dire. Je travaille dans un médium semi-décédé. Les contenus vont continuer à pulluler, mais seront consommés différemment, hyper individuellement, pigés partout dans le monde. Le médium ne fait plus société, ce qui est une perte pour les cultures minoritaires, si créatives soient-elles. La télé nous donnait, jusqu’à il y a peu, une culture à partager, un liant social, un élément de définition, une trame commune.

Un sondage révélait il y a quelques mois que plusieurs jeunes ignoraient qui était Véronique Cloutier. Le problème est peut-être que tout le reste du monde connaît trop Véro et pas assez Lysandre Nadeau, Neev, Zach Zoya, pour ne prendre que quelques exemples. Notre star system nous a aidés, mais il a peut-être aussi étouffé la curiosité…

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Zach Zoya au Festival de la poutine de Drummondville en 2022

La question fondamentale à se poser est certainement de savoir comment nous pourrons assurer la survie de cultures minoritaires comme la nôtre à l’heure de Netflix. Par réglementation, certes, mais encore ?

Comment créer un nouveau star system, puissant vecteur d’identification, qui soit partagé par le plus grand nombre, et où TOUS se retrouvent ?

Comment rendre visibles, accessibles et facilement découvrables les contenus québécois ? Comment convaincre les moins de 35 ans qu’une culture commune est importante, qu’elle les inclut et leur propose des liens avec la société ? Par quoi passera dorénavant, par quel canal se diffusera une culture commune ?

La télé a longtemps servi de prescripteur de culture, voire de culture en soi. Avec la disparition progressive de ses téléspectateurs, on plongera dans un nouveau paradigme, qui se déploie déjà. La culture sera de plus en plus atomisée, anglophone et souvent américaine. La culture est la colonne vertébrale des peuples. La télévision a été son vecteur pendant des décennies. Et on ne retournera pas en arrière. Nous consommons les contenus différemment. Comment connecter à la culture d’ici ?

Denis Dubois a quelques propositions : il suggère la création d’une grande plateforme numérique commune à TOUS les diffuseurs, et la création d’un festival entièrement consacré aux émissions québécoises. C’est un début.

Il faudra être créatifs, aimer notre culture, aller chercher TOUS les Québécois là où ils sont, réinventer un vedettariat à l’image du Québec actuel, s’assurer que nos contenus locaux soient vus, entendus, lus, qu’ils soient aussi sexy que ce qui provient d’ailleurs. Sacré défi. La télévision a fait un grand bout de chemin pour l’émancipation de notre culture. Il faut maintenant inventer l’avenir, car toutes les cultures méritent de vivre.

1. Lisez « Denis Dubois : “Je suis inquiet pour notre télévision” »