Je sais que mon titre est très hétérogène, mais il y a un lien entre ces trois composantes.

L’idée d’écrire cette chronique doit à la présence des étourneaux jacassant devant ma maison. L’histoire des étourneaux en Amérique est une saga d’immigration des plus originales que j’ai envie de partager avec vous.

C’est un apothicaire de New York, Eugene Schieffelin, qui a amené les étourneaux de Grande-Bretagne pour les libérer dans la Grosse Pomme vers 1880. L’excentrique pharmacien, passionné par le phénomène d’acclimatation, avait comme projet d’européaniser la population aviaire du Nouveau Monde. Il commença par libérer dans les paysages new-yorkais des rouges-gorges européens, des pinsons, des alouettes d’Eurasie et une soixantaine d’étourneaux.

De sa première vague d’introduction, seuls ces derniers s’adaptèrent à leur nouveau pays et commencèrent à s’y reproduire.

En 1890, Schieffelin ramena quelques dizaines d’étourneaux supplémentaires pour opérer sa deuxième phase d’introduction. C’était le début de la fulgurante conquête de l’Amérique par ces oiseaux magnifiques qui font désormais rager certains agriculteurs.

Pourquoi Schieffelin a-t-il voulu amener les étourneaux aux États-Unis ? On raconte que l’apothicaire qui adorait Shakespeare planifiait d’introduire en Amérique tous les oiseaux mentionnés dans l’œuvre du célèbre dramaturge. Il a donc certainement lu la pièce Henry IV, la seule dans laquelle on trouve une réplique parlant d’étourneau. Si cette histoire largement relayée dans la littérature scientifique est entièrement véridique, Shakespeare aurait été bien surpris d’apprendre à quel point sa tragédie écrite en 1596 a changé profondément la composition faunique aviaire de l’Amérique. En cause, aujourd’hui, de l’Alaska à la Floride, les étourneaux sont parmi les volatiles les plus abondants du peuple à plume.

Mais, leur histoire d’immigration n’est pas différente de celle de tous ces animaux que beaucoup croient être des indigènes d’ici et qui, pourtant, n’existaient pas en Amérique avant le premier voyage de Christophe Colombe. Ainsi, la vache, la chèvre, le mouton, le cochon, le pigeon, la poule, l’abeille mellifère et le ver de terre sont tous des immigrants arrivés en Amérique avec les Européens. Il y a aussi le cas des migrants qui sont arrivés par eux-mêmes. L’emblématique orignal du Canada a migré de la Sibérie orientale par le pont de la Béringie qui unissait l’Asie et l’Amérique pendant la dernière période glaciaire.

Si les bisons, les wapitis, les mammouths, les orignaux et les humains sont passés lointainement par ce pont pour venir en Amérique, les caribous, les ours bruns et les chevaux ont fait le chemin inverse.

En fait, l’histoire migratoire du cheval est assez singulière. Le cheval existait en Amérique, mais a disparu avec l’arrivée des premiers chasseurs-cueilleurs sur le continent. On pense que ces aventuriers de la première heure ont fini par exterminer les chevaux sauvages, les mammouths, les mastodontes, les ânes, les castors géants et les paresseux terrestres qui pouvaient peser cinq tonnes et mesurer six mètres de hauteur qui habitaient le continent. Le cheval a tiré sa révérence en même temps que la mégafaune. Puis, à la faveur des colons européens, il reviendra en Amérique où il fera sensation auprès des tribus autochtones des grandes plaines.

Sans ce pont terrestre qui unissait la Sibérie à l’Alaska par lequel ont voyagé des humains, mais aussi beaucoup de plantes et d’animaux, l’histoire de l’Amérique aurait été bien différente. La descendance de ces migrants de la Béringie, ce sont les Autochtones d’Amérique dont les grandes civilisations qui ont domestiqué la tomate, la patate, le tabac, l’arachide, les piments, le maïs, le cacaoyer, les courges, les avocats.

Ce sont les mêmes qui ont découvert les vertus curatives du quinquina et les propriétés du caoutchouc provenant de l’hévéa qui a fait rouler les voitures, les avions et autres engins à moteur qui sont encore au centre de la mondialisation des cultures.

En Amérique, cette rencontre de cultures serait d’ailleurs plus ancienne que l’époque des grands explorateurs et la révolution industrielle. En 2015, une étude menée par David Reich et Pontus Skoglund de la Harvard Medical School suggérait des liens génétiques entre les populations autochtones d’Amazonie et les indigènes d’Australie, des îles Andaman et de Nouvelle-Guinée. Ce qui veut dire que bien avant les voyages de Christophe Colomb, cette descendance des migrants de la Béringie aurait couché avec des voyageurs venus par la mer.

Ainsi va l’histoire de l’Amérique. N’en déplaise aux gens qui carburent à la réclusion, c’est une histoire à la fois douce et amère, mais qui s’inscrit dans les rencontres et les brassages génétiques. N’en déplaise surtout aux bâtisseurs de murs, c’est une histoire qui a commencé avec un pont.