La doctrine de la découverte, ou Terra Nullius, a été mise en place au XVe siècle par l’Église catholique. Comme je veux garder ce texte digeste alors que vous êtes en train de siroter votre café du samedi matin, je simplifierai en disant que l’Église, par le biais de cette doctrine, venait justifier moralement la prise des territoires, des ressources et des humains (oui, des humains) qui se trouvaient sur le nouveau monde. Vous n’avez pas recraché votre café ? Parfait ! Continuons…

Selon l’Église catholique (et les pays colonisateurs), les Autochtones n’avaient pas le niveau de civilisation suffisant pour être les propriétaires de leurs territoires, des ressources qui s’y trouvent et pour décider pour eux-mêmes. De surcroît, ils n’étaient pas chrétiens. Ladite Église, en mettant en place cette doctrine, venait confirmer qu’il était justifié, et justifiable, de prendre les terres des autres sans demander la permission. Pratique, non ? Du même souffle, on venait affirmer que les Européens avaient bel et bien « découvert » un nouveau monde. Plus facile pour arriver à un même but : étendre son empire et exploiter les ressources, y compris les habitants originaux de ces terres, de l’Afrique à l’Amérique.

Pas si vieux comme doctrine

« Oui, mais plus aucun gouvernement, aucune personne n’utilisait cette doctrine dans les faits de toute façon. »

Cette phrase, je l’ai entendue sous toutes ses formes cet été lors de la visite du pape François 1er au Canada. Or, c’est totalement faux. En 2005 encore, la doctrine de la découverte était utilisée en Cour suprême des États-Unis par nulle autre que la célèbre juge Ruth Bader Ginsburg dans la cause Sherrill c. Oneida Nation. Dans sa décision, la juge Ginsburg est venue nier l’immunité tribale de la nation Oneida sur des terres qu’elle avait autrefois habitées, qu’elle s’était fait prendre sans consentement et qu’elle avait dû racheter en grand frais, pièce par pièce, sur le marché immobilier. Les Oneida y réclamaient des droits et la Cour suprême est venue les refuser en invoquant que le concept de souveraineté sur ces terres était inapplicable puisque les Oneida ne les avaient pas habitées en continu.

Normal, on les leur avait volées.

Pourquoi je vous parle de ce cas qui implique les États-Unis ? C’est parce que ce discours, cette défense, n’est pas propre à nos voisins du Sud. C’est un peu la même chose ici au Canada.

En effet, quand les Premiers Peuples font une demande de revendication territoriale globale auprès du gouvernement fédéral, ils doivent prouver une occupation continue du territoire. Et c’est parfois difficile. Vous savez pourquoi maintenant.

Mais remontons un peu le temps. Disons, au hasard… 1492. Christophe Colomb, alors à l’emploi des Espagnols, arrive dans les Caraïbes avec son trio de beaux bateaux à voiles. Il rencontre des gens qui y vivent. Il se croit en Inde, alors il les nommera les Indiens. Un beau bloc monolithique qui ne parle pas la bonne langue, n’a pas la bonne couleur de peau, qui n’a pas de roi et qui ne sait ni lire ni écrire. En plus, les femmes ont leur mot à dire dans les décisions qui les concernent, les enfants vivent librement sans discipline stricte et les habitants ne savent pas exploiter les ressources puisqu’ils les respectent et en prennent soin et n’ont, aux yeux des Espagnols, aucun dieu. Ou pas le bon, en tout cas… Quelle façon barbare de vivre ! (sic) Colomb veut de l’or et il fait tout pour le trouver, jusqu’à tuer et torturer des milliers de personnes.

Mais prendre ainsi les territoires et leurs ressources, réduire des milliers de personnes à l’esclavage, ce n’est pas tellement catholique. Il faut trouver quelque chose pour être absous de tous ces péchés.

Le document Inter Caetera, la dernière d’une liste de bulles pontificales catholiques, signée cette fois par le pape Alexandre VI en 1493, verra le jour en réponse à cette problématique. Mais il y a derrière ça, si je comprends bien, de la grosse politique. Cet acte empêchera le roi du Portugal de s’emparer des nouveaux territoires puisque le pape du moment, lui aussi Espagnol, interviendra en faveur de la Couronne de Castille, catholique, pour lui attribuer toutes les terres à l’ouest des Açores en vue d’évangéliser lesdits « Indiens ». La mission est bien plus noble ainsi.

Assez sur ce retour historique.

Quiconque connaît la Loi sur les Indiens sait que cette loi prend ses échos au cœur de cette doctrine. Sinon, pourquoi serions-nous, comme membres des Premières Nations, encore des pupilles, des mineurs aux yeux de l’État, même aujourd’hui ? Pourquoi les pensionnats pour Autochtones auraient été rendus obligatoires par cette loi si ce n’était pour nous évangéliser et « nous amener au rang de civilisés » ?

Cette doctrine de la découverte se cache encore parmi nous. Combien de fois a-t-on essayé de nier la présence autochtone lors de la construction de pipeline ou de barrages, pour ne nommer que ça ?

Alors non, cette doctrine archaïque n’est pas éteinte ou dormante. Elle s’est insinuée insidieusement dans les pensées et les actions, d’hier à aujourd’hui.

Il était grand temps que l’Église répudie cette doctrine qui n’aurait jamais dû être. Et grand temps que tous, nous en prenions acte.