L’autre jour, au TJ français sur TV5, il y avait ce manifestant très remonté contre la retraite à 64 ans qui clamait : « C’est le cercueil qui m’attend, à 64 ans ! » Tout est dans ce slogan. Le rapport structurel et culturel au travail a changé de bord en bord.

C’est vrai qu’il est beaucoup question du travail ces temps-ci. De sa valeur, de son existence, de ses effets dans la société post-pandémique qui se dessine. La France est depuis quelques semaines perturbée par un mouvement très majoritaire qui s’oppose au projet gouvernemental de reporter l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. À tous les étages de la société, des étudiants aux aînés, des ouvriers aux cadres, ils manifestent quasi quotidiennement et jurent qu’ils mettront « la France à l’arrêt » pour vaincre ce projet de réforme.

Chez nous, plus calmement, on assiste à une vague de départs à la retraite des baby-boomers, qui a des allures de raz-de-marée depuis quelques mois. On parle aussi beaucoup, à l’autre bout du spectre, du boulot des quasi-enfants, des très jeunes ados. On n’a pas fini de voir les effets des modifications nombreuses qui affectent le monde de l’emploi : télétravail, nouveaux rapports de force dans les entreprises, le refus de travailler au piteux salaire minimum, quiet quitting, etc.

Bref, le monde du travail se transforme à vue d’œil. On pourrait même aller plus loin et dire que la valeur même du travail est remise en cause.

Toute cette histoire de l’âge de la retraite, dont les échos français nous parviennent, est particulièrement éloquente. Si, en Amérique du Nord, la tendance est aux aînés qui reviennent sur le marché de l’emploi, par plaisir parfois, par nécessité souvent, les Français questionnent ces jours-ci la nature même, les vertus du travail. Pénible, il abrège la vie, est une calamité. La tendance y est de raccourcir le plus possible la durée de la vie professionnelle.

Face à la durée de la vie au travail, tous les peuples ne sont pas égaux. Avec l’accroissement de l’espérance de vie dans la plupart des pays développés, les années passées avec une rente de retraite augmentent pour un nombre croissant de citoyens, alors que le bassin de travailleurs qui payent tend à diminuer, d’où un crucial enjeu des finances publiques.

Lorsque mon père a pris sa retraite, il y a 30 ans, la majorité de ses confrères débardeurs mouraient dans les cinq ans, exténués, les poumons ravagés d’avoir transporté des sacs d’amiante sans protection – c’était l’ère préconteneurs. Aujourd’hui, les retraités forment une tranche démographique de plus en plus nombreuse.

Au Québec, l’âge moyen du départ à la retraite est de 63,7 ans, et de 64,4 au Canada. Dans l’Union européenne, la moyenne est de 65 ans, 62 ans pour la Suède et la Grèce, mais 67 ans au Danemark, en Italie et en Allemagne. Les Danois repousseront probablement l’âge de la retraite à 69 ans en 2035, 70 ans en 2040. En Chine, il est de 60 ans pour les hommes, et de 55 pour les femmes.

C’est comme si les fantasmes des citoyens se nourrissaient de slogans à la Liberté 55, ou des théories mcsweeniennes de Liberté 45, alors que les injonctions de la dure réalité du vieillissement de la population font que l’âge de la retraite de la majorité s’éloignera de plus en plus…

Au même moment, la nature du travail et la manière dont nous envisageons ce dernier changent à vue d’œil. Le télétravail a même transformé physiquement nos maisons et les centres-villes. Les règles du travail sont bouleversées, les liens qui unissaient les travailleurs aux employeurs se délitent. Dorénavant, dans plusieurs domaines, on choisit ses conditions d’embauche plutôt que de les subir.

Avec le changement générationnel et la prise de retraite massive des baby-boomers, non seulement le marché du travail prend un coup de jeune, mais aussi le regard que porte la société entière sur le travail est en train de se modifier. Le travail, on ne craint plus de le dire, use prématurément les individus, rend malade, empêche la réalisation des rêves de certains.

Dans un monde où l’individu est plus important que le groupe, les besoins individuels se doivent, à tort ou à raison, d’être assouvis, et tant pis si ça ne passe pas par le travail. C’est toute une conception de la vie et de la société qui, à travers la critique du travail, voit le jour. La nature et la finalité du travail ont changé, continuent à se transformer. Il n’est plus un absolu, une évidence. Mais parallèlement, les caisses de retraite des États se vident et les gens vivent longtemps…

Ce qui se passe en France ces jours-ci devrait nous intéresser et nous faire réfléchir. C’est le canari dans la mine. Liberté 55 est certainement un leurre, mais de vivre aussi PENDANT sa vie de travail devrait être un objectif enviable.