Jeudi dernier, à Rouyn, avait lieu un colloque sur le thème « Comment unir les voix de l’Abitibi-Témiscamingue ? » Le Tout-Abitibi-Témiscamingue (comme dans « le Tout-Paris ») y participait.

L’objectif ? Combler le vide laissé par l’abolition des conférences régionales des élus, vide qui, encore aujourd’hui, pose de nombreux problèmes aux régions. Depuis 2015, elles s’arrachent toutes les cheveux sur cet enjeu.

Le problème de fond ? La place de la société civile dans la gouvernance régionale. Son absence affaiblit considérablement les régions. C’est le genre de sujet qui ne fait pas les manchettes, mais qui est déterminant si l’on veut construire des régions fortes et dynamiques, capables, elles aussi, de se mobiliser autour des défis d’aujourd’hui : changements climatiques, accueil des immigrants, protection du territoire, etc.

Pour comprendre les débats actuels, il nous faut faire un peu d’histoire.

De 1970 à 2003, le développement des régions était assuré par des conseils régionaux de développement (CRD). Les CRD assuraient la concertation régionale, élaboraient une planification stratégique et donnaient des avis au ministre des Régions sur tout ce qui touchait le développement du territoire. Plusieurs dizaines d’organisations siégeaient à son conseil et la société civile y détenait la majorité.

De 2003 à 2015, les conseils régionaux de développement ont été remplacés par les conférences régionales des élus (CRÉ). La plus grande différence entre CRÉ et CRD était la place des élus, qui occupaient désormais au minimum les deux tiers des sièges et pouvaient en exclure complètement la société civile.

Les CRÉ ont été abolies en 2015. La responsabilité de la concertation régionale a été transférée aux villes et aux MRC ainsi que des responsabilités en développement économique local (mais avec 40 % de financement de moins !). L’expertise purement régionale a été perdue. En 2021, la cheffe du PLQ reconnaissait qu’avec l’abolition des CRÉ, le gouvernement avait « jeté le bébé avec l’eau du bain ». Les CRÉ étaient très, très imparfaites, mais elles répondaient à un réel besoin.

La preuve ? Dès l’abolition des CRÉ, les problèmes ont commencé.

D’abord, le gouvernement du Québec n’avait plus d’interlocuteur quand venait le temps de consulter les régions. Au lieu de consulter une seule instance, il devait s’adresser aux MRC de la région, à la société civile, aux chambres de commerce, etc. Et qui, parmi ceux-là, peut prétendre vraiment parler au nom de la région ? Beau prétexte pour ne plus consulter et n’en faire qu’à sa tête.

De leur côté, les régions avaient perdu leur lieu de rassemblement et de mobilisation pour penser l’avenir ensemble et pour défendre collectivement leurs propres intérêts.

Évidemment, le gouvernement du Québec a quand même continué à régionaliser des programmes (comme le Fonds régions et ruralité ou encore le Fonds québécois d’initiatives sociales), en obligeant formellement les MRC à se concerter (!?), toujours sans financer l’exercice.

C’est à la suite de cette rerégionalisation qu’aujourd’hui, toutes les régions ont une « table des préfets » 1. Mais partout, comme en Abitibi-Témiscamingue, ces instances sont critiquées, et ce, pour trois raisons principales.

Premier problème : l’addition des visions de développement local portées par les préfets ne constitue pas une vision régionale. C’est fondamental. Pour développer une région, il faut en maîtriser l’écosystème, s’assurer que les actions des uns ne contredisent pas celles des autres, comprendre l’interaction de la région avec ses voisines, etc.

Plus encore, dans plusieurs domaines cruciaux du développement régional, les MRC n’ont que très peu d’expertise : forêt, tourisme, développement social, gestion des bassins versants, santé, etc. Sans cette expertise et sans la contribution de la société civile, l’attribution régionale des fonds, par exemple, peut vite se transformer en exercice de tirage de couvertes. Je le répète : l’addition des visions de développement local ne constitue pas une vision régionale.

Deuxième problème : en plus d’être un puissant outil de mobilisation, la concertation elle-même est une expertise. Il ne suffit pas d’asseoir des gens ensemble. Il faut savoir qui inviter, comment construire des consensus, faire tout cela dans la transparence, rendre des comptes aux partenaires, faire les suivis auprès de tous les acteurs, etc. Cette expertise aussi a été perdue, ce qui engendre moult frustrations.

Troisième problème : certains préfets rechignent à abandonner une partie de leur pouvoir à la société civile. Il est beaucoup plus simple d’allouer des fonds et de donner des avis à Québec quand on est juste cinq ou six à décider. Mais on est loin de la saine gestion et encore plus loin de la saine démocratie.

Alors, quoi faire ?

Les régions elles-mêmes, à l’image de l’Abitibi-Témiscamingue, sont en train de répondre à cette question. L’Outaouais s’est donné une assemblée régionale, certaines régions renchaussent les tables des préfets, d’autres recréent des CRÉ plus légère, etc.

Il faudra un jour que Québec reconnaisse les instances que les régions mettent en place et qu’il participe à leur financement… tout ça en réprimant son désir atavique de faire du mur-à-mur.

Plus il attendra, plus ce sera difficile pour lui, car les régions, elles, s’organisent déjà.

1. Les grandes villes sont des villes/MRC, donc le maire est un maire/préfet. Par exemple, en Outaouais, il y a 4 MRC rurales et une ville/MRC, Gatineau, dont le maire est considéré comme un préfet.