La semaine dernière, réagissant au fait que certaines augmentations de taxes municipales s’élevaient à 10 %, 15 % et même 28 %, la ministre des Affaires municipales a annoncé que du personnel de son ministère irait vérifier localement si ces hausses de taxes étaient justifiées⁠1.

Cette décision d’envoyer des fonctionnaires faire des vérifications est farfelue à plusieurs égards.

Elle l’est d’abord parce qu’elle s’inscrit dans une culture de paternalisme envers les villes, culture qui nous coûte collectivement une fortune. En 2016, le service des finances de la Ville de Gatineau avait calculé que la ville consacrait quelque 74 000 heures par année à rendre des comptes au gouvernement du Québec. C’est l’équivalent de 41 employés à temps plein2 ! Pourtant, Gatineau a une vérificatrice générale, une vie démocratique saine, une vie médiatique saine, des vérificateurs externes, des fonctionnaires compétents, etc. Oui, les contrepouvoirs sont nombreux, dans les grandes villes comme dans les petites, mais Québec veut tout vérifier quand même.

Tout vérifier… mais de l’aveu même de la ministre, ses fonctionnaires n’ont pas de réel pouvoir d’agir. Pour limiter la hausse de taxe, il faudrait une loi spéciale.

On se demande bien ce que feront les envoyés de Québec. Referont-ils le travail des acteurs locaux ?

Quand des élus adoptent de telles hausses de taxe, je peux vous garantir qu’ils ont cherché d’autres options. Ils savent très bien qu’ils devront rendre des comptes à leurs citoyens, et ce, au conseil municipal, à l’épicerie, au garage et même dans les fêtes de famille. Ils n’ont pas besoin des fonctionnaires de Québec pour savoir qu’ils gèrent le bien public et qu’ils doivent le faire prudemment.

Selon la Fédération québécoise des municipalités (FQM), la hausse moyenne des coûts du déneigement en 2023 est de 23 %. Le président de la FQM expliquait que dans sa propre municipalité, les coûts de l’entretien hivernal des chemins avait augmenté de 109 %. Inflation, crise du logement, coûts de la main-d’œuvre, croissance ou décroissance économique et démographique, les sources d’augmentation des dépenses municipales sont aussi nombreuses et aussi diverses que le sont les villes.

Les employés de la ministre vont-ils refaire tous les calculs ? Vont-ils proposer aux municipalités d’arrêter de déneiger, de réduire d’autres services, de mettre des employés à la porte, etc. ?

Dire, comme Éric Duhaime, qu’il faut plafonner les hausses de taxe à l’inflation, c’est penser comme un technocrate déconnecté de l’immense diversité des réalités sur le terrain.

Laisser les acteurs locaux décider de leur hausse de taxe est, de loin, la formule la plus efficace, la moins coûteuse et la plus démocratique.

D’ailleurs, si les citoyens d’une municipalité croient que les gens qu’ils ont eux-mêmes élus sont des incapables, qu’ils se mobilisent, qu’ils les dénoncent, qu’ils les remplacent. Des citoyens de plusieurs villes ont d’ailleurs déjà réussi à faire reculer leur conseil municipal. Rappelons-nous toutefois que d’autres citoyens, des citoyens qui parlent peut-être moins fort, appuient les décisions de leur conseil municipal. Les fonctionnaires de Québec choisiront quel camp ?

Une hausse de taxe est un geste éminemment politique. Réduire les taxes de 30 % peut être un bon choix, les augmenter de 30 % aussi. Quand on sonde les citoyens sur leur rapport aux taxes municipales ou aux impôts, le groupe majoritaire n’est pas celui qui s’y oppose ni celui qui les appuie. Le groupe majoritaire est celui qui dit qu’il est prêt à payer des impôts, selon ce que le gouvernement fera avec.

Pour faire la Révolution tranquille, le gouvernement du Québec a augmenté les dépenses de l’État de 400 % en quelques années. Aurait-il dû laisser faire ?

Les taxes foncières ont beaucoup de défauts. Par exemple, elles ne sont pas directement proportionnelles au revenu des gens qui les paient, elles constituent parfois un frein aux investissements des citoyens dans leur propre maison et elles n’augmentent pas en fonction de l’inflation (de son côté, grâce à l’inflation, le gouvernement du Québec augmente ses revenus).

Toutefois, leur principal défaut est qu’elles ne génèrent pas assez de revenus pour permettre aux villes d’assumer leurs nouvelles responsabilités⁠3, des responsabilités qui, bien souvent, ont été imposées par le gouvernement du Québec lui-même.

Un exemple : entre 2001 et 2014, à Gatineau, 40 % des nouvelles embauches étaient des postes obligatoires, imposés par Québec (essentiellement des policiers et des pompiers). Aujourd’hui, le gouvernement actuel force même les villes à payer les terrains des écoles du ministère de l’Éducation. Le gouvernement du Québec est responsable d’une bonne part du cul-de-sac fiscal dans lequel les villes se trouvent.

Si la ministre des Affaires municipales veut vraiment rendre service aux contribuables fonciers, au lieu de faire perdre du temps à ses fonctionnaires, elle devrait réaliser une vraie réforme de la fiscalité municipale.

Tant que les outils fiscaux des villes resteront archaïques, les élus seront obligés de les utiliser et, contrairement aux fonctionnaires de la ministre, ils en rendront compte à leurs citoyens.

1. Lisez l’article de Tommy Chouinard « Québec demande des comptes à des villes »

2. La ville de Gatineau a 3500 employés.

3. Lisez la chronique de Maxime Pedneaud-Jobin « Non aux baisses d’impôt »