La frontière entre le Canada et les États-Unis est longue de 8891 kilomètres. La frontière entre les États-Unis et le Mexique est de 3150 kilomètres. Il y a, au Canada, plus d’un demi-million de résidants en situation irrégulière. Aux États-Unis, il y en a 11 millions.

Il faut garder ces chiffres en tête quand on discute du chemin Roxham et de la possibilité que la prochaine visite de Joe Biden à Ottawa soit le moment où on va modifier l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui serait la clé de toute cette crise.

En passant, le nombre de 500 000 résidants en situation irrégulière au Canada est l’estimation maximale faite par Statistique Canada. L’organisme fédéral admet candidement qu’on ne sait pas le nombre exact et qu’il serait « entre 20 000 et 500 000 ». Aux États-Unis, évidemment, on étudie le phénomène de plus près et depuis longtemps.

Les autorités américaines ont une frontière trois fois moins étendue à patrouiller que les autorités canadiennes. Et ils admettent facilement qu’ils ont perdu le contrôle.

En passant, il y a un mur sur 725 kilomètres à la frontière États-Unis–Mexique, dont l’essentiel a été construit dans les années 1990. Sous Donald Trump, on en a beaucoup parlé, mais on n’y aura ajouté que 83 kilomètres.

L’Entente sur les tiers pays sûrs est au cœur de la situation au chemin Roxham. Elle a été négociée à la demande du Canada après le 11 septembre 2001, le gouvernement Chrétien craignant un afflux de demandeurs du statut de réfugié qui arriveraient depuis le territoire américain.

C’est en raison de la réputation du Canada comme pays qui accorde relativement facilement le statut de réfugié, certainement plus que les États-Unis.

On blâme souvent, ces jours-ci, le tweet de Justin Trudeau en janvier 2017, après la fermeture des frontières américaines aux ressortissants de pays musulmans par le président Donald Trump en début de mandat. Mais la réputation d’ouverture aux réfugiés du Canada remonte à bien avant.

Du temps du mur de Berlin, toute l’Europe de l’Est connaissait le truc de prendre des vacances à Cuba et de quitter l’avion lors d’une escale de ravitaillement à l’aéroport de Gander, à Terre-Neuve.

Il y a eu toutes sortes de vagues du genre, y compris des Portugais qui débarquaient de l’avion à Montréal et à Toronto en se disant témoins de Jéhovah et victimes de persécution religieuse.

À l’été de 1987, le premier ministre Brian Mulroney avait même rappelé le Parlement d’urgence en plein été à la suite de l’arrivée de réfugiés tamouls par bateaux. Bref, la réputation du Canada comme terre d’accueil était établie bien avant qu’on découvre le chemin Roxham.

Pour beaucoup de gens, ces jours-ci, la solution serait que le gouvernement du Canada se retire unilatéralement de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Cela peut sembler attrayant à première vue. Mais même si cela permettrait de condamner le chemin Roxham, ça ne réglerait pas le problème.

L’entente signifie qu’on peut demander le statut de réfugié à condition de ne pas le faire dans un point d’entrée officiel, comme un poste de douane. C’est aussi ce qui fait que si on ferme le chemin Roxham, il s’en ouvrira un autre ou plusieurs autres à quelques kilomètres de là.

Roxham n’est certainement pas une solution, mais au moins, c’est un endroit balisé et sécuritaire. Et c’est beaucoup mieux que d’essayer de traverser une forêt en plein hiver.

Il est inutile de dire que le Canada n’a aucunement les moyens matériels et le personnel requis pour patrouiller une frontière de près de 9000 kilomètres, surtout quand on sait que les Américains n’y parviennent pas sur une frontière trois fois moins importante et en y mettant beaucoup plus de ressources.

Ce qui fait qu’il est bien inutile de réclamer de « fermer la frontière ». Encore moins avec les moyens d’un gouvernement provincial, même si c’est la solution que proposent certains partis politiques.

Mais le développement le plus important des dernières semaines, c’est de voir des premiers ministres des autres provinces accepter le principe que les réfugiés de Roxham ne peuvent être qu’un problème québécois et qu’eux aussi doivent accueillir des réfugiés. Parce que c’est une obligation nationale, comme le fut l’arrivée des réfugiés syriens ou ukrainiens. On verra comment cela se traduira dans les faits, mais c’est une belle avancée.

Ce qui a beaucoup plus de chances d’aider à résoudre les problèmes les plus urgents dans ce dossier que de penser qu’on pourra rapidement renégocier l’Entente sur les tiers pays sûrs.

On peut espérer que le sujet soit à l’ordre du jour quand le président Joe Biden visitera Ottawa le mois prochain. Mais quand deux dirigeants de pays du G7 se rencontrent, il est bien plus probable qu’on parle de l’Ukraine ou des risques de récession mondiale que du malheureux chemin Roxham.

RECTIFICATIF
Dans une version précédente de la chronique, il était indiqué que «l'Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) signifie qu’un peut demander le statut de réfugié à condition de ne pas le faire dans un point d’entrée officiel, comme un poste de douane ou un aéroport». Or, l'ETPS n’est valable que pour les entrées par la frontière terrestre et ne touche donc pas les aéroports. Nos excuses.