Ces dernières semaines, les rats de Montréal font jaser. Selon certaines personnes, la ville grouille de rongeurs, et il faudra frapper fort pour éviter que les rats ne se présentent aux prochaines élections municipales.

L’ouverture des égouts pendant les chantiers, des problèmes de gestion des déchets et la piètre qualité des poisons utilisés pour les contrôler seraient des facteurs aggravants. Il y aurait plus de rats que de Montréalais. Les anglos et les francos ont donc beau se la disputer, la ville appartient davantage aux rats, aux écureuils, aux ratons laveurs, aux pigeons et aux goélands.

Ces espèces sont formidablement adaptées à la présence humaine. Elles ont compris que pour survivre à l’omnipotent Sapiens, mieux valait s’en rapprocher : nos montagnes de déchets représentent pour elles des montagnes de ressources.

Les ratons laveurs sont si bien adaptés à la vie urbaine qu’ils donnent des cours du soir au parc. Ils partagent avec les moufettes leurs nouvelles trouvailles pour ouvrir les bacs de compostage.

Formés par les ratons laveurs, les écureuils ont aussi appris à éventrer les sacs à ordure et à disperser leur contenu sur les trottoirs (c’est le fameux cours de dissection). Ils ont aussi appris des goélands l’art de harceler les piqueniqueurs pour chaparder de quoi manger. Bref, les écureuils sont passés de casse-noisettes à casse-couilles. Mais, contrairement aux rats, on les trouve très mignons, ce qui facilite leur acceptabilité urbaine.

D’ailleurs un ami disait qu’il est très facile de reconnaître les nouveaux arrivants français sur le Plateau-Mont-Royal : ce sont les seuls qui trouvent les écureuils du parc La Fontaine encore assez exotiques pour les prendre en photo. Si on ne trouve pas une façon de les contrôler, je vous parie que dans quelques années, les écureuils de Montréal vont s’acheter de la bouffe en dérobant de l’argent directement dans les poches des contribuables. Ils seront alors en compétition avec les fonctionnaires du ministère du Revenu qui n’hésiteront pas à leur faire la peau.

Revenons à l’indésirable rongeur qu’est le rat d’égout. On peut certainement diminuer les populations de rats, mais les éliminer est une entreprise impossible. Ils sont plus forts et plus résilients que nous. Le rat gris est aussi appelé surmulot ou rat d’égout. Mais, pour nous biologistes, il restera toujours Rattus norvegicus. Norvegicus comme dans Norvège, vous avez bien lu ! On l’associe à la Norvège, mais le territoire d’origine de ses ancêtres est plutôt la Sibérie, le nord-est de la Chine et le Japon. Pourquoi l’avoir nommé rat de Norvège ? Par erreur. Le médecin et naturaliste britannique John Berkenhout qui lui a donné ce nom l’a croisé en 1769 dans le port d’Édimbourg, en Écosse. Puisque le rat voyageur descendait d’un bateau danois qui arrivait juste de la Norvège, le naturaliste est tombé dans la confusion.

Bien avant la mondialisation des cultures, le surmulot s’est accroché à l’humain pour se répandre sur la planète. Partout où il débarque, il finit par s’adapter et prendre ses aises.

Malheureusement, ces rongeurs sont aussi des vecteurs de maladies, telles que le typhus et la rage, et ils souillent nos aliments avec leur urine et leurs excréments. D’ailleurs, on a longtemps reproché à Rattus rattus (le rat noir) d’être responsable de l’épidémie de peste bubonique qui a décimé une bonne partie de l’Europe au Moyen Âge. Mais aujourd’hui, les scientifiques semblent innocenter partiellement ce rat originaire du Proche-Orient et dont certains pensent qu’il a profité des croisades pour immigrer en Europe.

Mon défunt et brillant ami et collaborateur de l’émission La nature selon Boucar Harold Lévé, propriétaire des Entreprises Maheu et spécialiste en gestion parasitaire, savait plus que quiconque raconter le monde extraordinaire des rats. Il m’a raconté qu’avec sa très mauvaise vision, le rat s’oriente la nuit en utilisant ses moustaches appelées des vibrisses. Les ultrasons et les odeurs sont au centre du mode de communication de ces animaux dont la paranoïa est un mode de survie.

Placés devant à une nouvelle ressource alimentaire, les rats feront preuve d’une grande prudence avant d’y toucher. Si un testeur manifeste des signes de détresse postprandiale (après son repas), le reste de la colonie s’éloignera pour toujours de la boustifaille mortifère. Selon Harold, le béton mou, le bois, le caoutchouc et même des feuilles d’aluminium peuvent entrer dans leur ventre sans leur tordre mortellement les boyaux. Quand on a les dents qui poussent continuellement, il faut ronger du coriace pour les user.

Faut-il freiner les rongeurs ou ronger son frein ? Rappelons que sans les rats dans nos villes, nos égouts seraient constamment bouchés, disent des scientifiques. D’après le Fonds mondial pour la nature (WWF), seulement à Paris, les rats consommeraient environ 800 tonnes d’ordures par jour. Même si on aime les détester, il faut quand même les remercier pour ce travail, mais aussi d’avoir donné leur corps à notre science et permis un spectaculaire bond à la médecine. Retenons également que le rat est un animal social, intelligent, voyageur, opportuniste, grégaire, prolifique, omnivore qui vit en groupes hiérarchisés et présente une grande capacité d’adaptation. Ça ne vous rappelle pas une autre espèce, un grand bipède qui abonde sur l’île de Montréal ? Deux charges de même signe se repoussent. C’est ce principe enchâssé dans la loi de Coulomb, bien connue de tous ceux qui ont fait un peu de physique. Pendant que Sapiens rage, le rat se dilate la rate.