La réponse à ma question provocatrice dépend du sens donné à l’expression. Non, si on considère la caricature faite par la droite dure aux États-Unis. Oui, si on retient l’orientation d’un rapport sur l’avenir de la gouvernance d’entreprise au Canada.

Si on redonne au mot woke son sens « d’éveillé », à l’évidence il y a longtemps qu’on demande aux administrateurs de ne plus dormir au gaz. Mais on s’attend maintenant à ce qu’ils « s’éveillent » à un plus large éventail de questions sociales et environnementales.

La gouvernance d’entreprise réfère à l’ensemble des règles et des comportements d’un conseil d’administration, notamment sa relation avec le PDG pour établir la stratégie et en surveiller l’exécution.

La gouvernance est devenue plus exigeante au fil des scandales, de la réglementation et de plusieurs rapports qui ont proposé de meilleures pratiques. Au Canada, le rapport Dey, en 1994, avait recommandé la séparation des fonctions de président du conseil et de chef de la direction. En 2001, le rapport Saucier mettait l’accent sur la culture d’indépendance des administrateurs à l’égard du PDG.

En décembre, sous les auspices du Groupe TMX et de l’Institut des administrateurs de sociétés, 13 administrateurs chevronnés, dont Monique Leroux, ex-présidente de Desjardins, et Heather Monroe-Blum, ex-rectrice de McGill, ont publié un rapport intitulé « L’avenir de la gouvernance des sociétés canadiennes »1.

Cette fois, pas de recommandation précise à la Dey, mais des principes que les administrateurs doivent adapter à la situation particulière de leur organisation.

Constat du chapitre 1 : « Les entreprises doivent apprendre à trouver la réussite dans un monde qui récompense non seulement les investisseurs, mais aussi tous ceux qui s’intéressent à leur activité, qu’il s’agisse des employés, des fournisseurs, des clients ou des collectivités locales. » Bref, « un capitalisme participatif, par et pour les parties prenantes ».

L’entreprise doit porter une attention particulière à la diversité, à l’équité et à l’inclusion (DEI) des femmes et des minorités. En partie en réaction aux chocs qu’ont été le mouvement Black Lives Matter et la découverte des sépultures des pensionnats autochtones, mais peut-être davantage par la réalisation que la diversité favorise une compréhension plus fine des enjeux, et donc de meilleures décisions d’affaires. Plus crûment, la pénurie de main-d’œuvre tasse bien des préjugés.

Évidemment, toutes les parties prenantes ne peuvent être réunies autour de la table du conseil, mais l’entreprise doit identifier les plus pertinentes dans son domaine et dialoguer avec elles.

Le même exercice doit être accompli avec les actionnaires, de préférence ceux qui ont une vision de long terme, sans pour autant ignorer les investisseurs militants qui font pression pour des actions rapides.

Le deuxième chapitre traite des incontournables facteurs ESG : « Les sociétés doivent se pencher sur les questions environnementales et sociales qui sont les plus importantes pour leurs parties prenantes, sur lesquelles elles peuvent exercer un contrôle et à l’égard desquelles elles peuvent avoir le plus grand impact. »

Les auteurs pensent que les critiques qui fusent face au clivage politique aux États-Unis traverseront la frontière, compliquant et ralentissant le progrès des sujets ESG. Peut-être à cause du ressac, ce passage du rapport est le seul à employer le mot woke, quoique son esprit transparaisse à maints endroits.

Par exemple, « les chefs d’entreprise doivent être conscients que les changements climatiques ne sont probablement que le premier volet d’une série d’enjeux ESG qui finiront par être considérés comme des risques, mais aussi comme des possibilités [d’affaires], et qui nécessiteront des mesures énergiques et la communication d’information ».

S’attaquer à ces nouveaux défis n’est pas signe d’un ramollissement de la gestion, distraite par les causes à la mode, mais plutôt une prise en compte de l’environnement changeant de l’entreprise, sans pour autant négliger les considérations économiques, qui restent centrales.

L’entreprise doit à la fois « réaliser de solides rendements financiers pour les actionnaires et obtenir de bons résultats au regard des mesures d’ESG qui sont au cœur des préoccupations des autres parties prenantes ».

Quant au G dans ESG, les pratiques de gouvernance ont enregistré de grands progrès. Toutefois, la réglementation et les normes d’information sur la durabilité imposeront des responsabilités étendues aux administrateurs sur les questions environnementales et sociales, lesquelles « sont plus délicates et comportent de plus grandes difficultés pour les sociétés ».

Le rapport compte huit autres chapitres portant sur les thèmes plus traditionnels de la gouvernance, comme la stratégie et la gestion des risques, impossibles à résumer dans cette chronique.

Les auteurs ne proposent pas de recette, mais convient les administrateurs à une réflexion stratégique approfondie sur la mission de l’entreprise et sur la meilleure façon de l’accomplir dans un monde aux multiples parties prenantes.

1. Lisez le rapport « L’avenir de la gouvernance des sociétés canadiennes »