À l’approche du triste anniversaire de l’agression russe en Ukraine, il faut saluer le courage et la détermination de ce peuple qui non seulement refuse de céder un centimètre de son territoire, mais aussi nourrit l’ambition de reprendre la Crimée perdue il y a bientôt 10 ans devant un Occident plutôt indifférent.

Plus rusées et mieux préparées que ses adversaires, les forces armées ukrainiennes surprennent depuis un an. Mais la mobilisation de centaines de milliers de soldats russes fait craindre le pire pour le printemps. Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, exhorte l’OTAN depuis des mois à lui fournir des équipements plus robustes pour affronter cette prochaine vague, notamment des chars d’assaut et des chasseurs.

Une coalition de pays (les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas) fournira approximativement 200 chars d’assaut aux Ukrainiens. Le Canada a aussi été approché pour contribuer une partie de son stock. Malgré qu’il possède près de cent exemplaires d’un modèle souhaité par le président Zelensky, le Canada n’en fournira que quatre. Vraiment ? Avons-nous besoin de tous les autres chars pour refouler la Garde nationale du Vermont qui souhaiterait prendre le poste frontalier de Stanstead ? Existe-t-il un conflit sur la planète avec des conséquences aussi significatives pour l’OTAN que celui entre la Russie et l’Ukraine ? Le drapeau russe flottant sur la place de l’Indépendance à Kyiv annoncerait des jours sombres pour l’Europe (et pour nous).

Le Canada avait une occasion de se démarquer dans ce dossier et a malheureusement échoué. Il devient de plus en plus difficile de comprendre le rôle que le Canada souhaite jouer sur l’échiquier géopolitique.

Depuis ses débuts en politique, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, mise beaucoup sur les « communications ». Mais le ministère important que son patron lui a confié malgré un parcours imparfait se conjugue mal avec un désir brûlant d’être vue et entendue.

Alors qu’un ballon d’observation chinois passait du Montana aux Carolines le week-end dernier, Mme Joly a cru bon nous informer qu’elle avait parlé à son homologue américain, Antony Blinken, et qu’ils avaient discuté de la protection de l’espace aérien canadien. On pouvait s’interroger sur la pertinence de publier cette information après que le ballon eut survolé notre pays pendant de nombreuses heures sans que nous ne donnions l’ordre de l’intercepter. Je vois mal pourquoi il faut consulter les Américains lorsqu’il s’agit de notre espace aérien. Nous avons des chasseurs et aurions pu nous aussi interrompre le parcours du ballon.

Quelques semaines auparavant, Mme Joly annonçait qu’elle avait été mandatée par le Cameroun pour diriger des efforts de médiation avec un groupe séparatiste. Le Cameroun a rapidement nié avoir confié cette responsabilité au Canada. Je ne mets pas en doute la sincérité de Mme Joly – mais était-il nécessaire d’en faire l’annonce sans aucun document officiel ? Pourquoi cet empressement à « communiquer » sur un sujet clairement délicat ?

En octobre dernier, M. Blinken et Mme Joly ont tenu des rencontres à Montréal. Mme Joly cachait mal sa fierté de parader un peu partout en ville en sa compagnie. On a fait grand état du fait que M. Blinken est francophile, qu’il parle un français impeccable, etc. Ce n’est pas tant le français que je souhaiterais qu’il comprenne, mais plutôt le Canada. Quand les Américains ont battu en retraite en Afghanistan, il aurait été de mise qu’ils nous en glissent un mot avant que l’évacuation ne débute. Des vies auraient possiblement pu être sauvées. C’était ajouter l’injure à l’insulte pour un pays qui avait lui aussi beaucoup sacrifié dans l’aventure afghane. Cet exemple – parmi tant d’autres – démontre à quel point les Américains tiennent nos rapports pour acquis.

En fin d’année 2022, Mme Joly dévoilait la stratégie pour l’Indo-Pacifique de son gouvernement à l’aide d’un battage publicitaire sans égal. Le document renfermait cinq objectifs, dont deux semblaient tirés directement d’entrevues avec des candidates pour un concours de beauté (« Promouvoir la paix » et « Investir dans les gens et tisser les liens entre eux »). Cette politique était malheureusement devenue nécessaire pour clarifier les réelles intentions du gouvernement dans cette région. D’une naïveté déconcertante face à la Chine à leur arrivée au pouvoir en 2015 – il faut se rappeler qu’ils reprochaient à Stephen Harper un ton trop rigide –, les libéraux multipliaient les missions à Pékin. Quelques années plus tard, ils provoquèrent une des plus importantes crises sino-canadiennes en acceptant d’intercepter une employée de Huawei de passage à un aéroport canadien à la demande expresse d’un président américain qui ne cachait pas son aversion pour M. Trudeau. Ça ne s’invente pas.

À défaut d’un prix Nobel de la paix, Mme Joly se console probablement en consultant le recueil de ses innombrables interventions dans l’espace public. Pendant ce temps, les Ukrainiens attendront patiemment nos quatre chars et ne retiendront pas leur souffle pour une offre de chasseurs. Elvis chantait « A little less conversation, a little more action please » – Mme Joly devrait s’en inspirer.