Bonjour, Madame la Ministre, en cette fin de pandémie, vous avez souligné l’« effervescence » diplomatique qui accompagne la réouverture des relations diplomatiques dans le monde. Vous avez également exprimé une volonté ferme que le Québec s’inscrive dans cette effervescence. J’en suis tout à fait heureux, mais j’aurais quelques idées à partager avec vous.

Commençons par une anecdote.

En janvier 2018, avec six autres maires de partout au Canada, j’ai été invité à Washington pour plaider en faveur de l’ALENA, aujourd’hui appelé Accord Canada–États-Unis–Mexique⁠1. On nous invitait à rencontrer des maires de municipalités américaines avec qui nous avions des liens économiques pour souligner les conséquences d’une abolition de l’ALENA pour nos villes et les leurs. On nous disait que le président Trump était plus sensible à des articles dans des journaux locaux américains qu’à l’avis des grands experts. Selon nos hôtes, nous avions été utiles.

Autre petit souvenir.

En fouillant dans mes vieux agendas de maire, on constate que, uniquement entre janvier et mars 2020 (la pandémie a tout arrêté), j’ai rencontré l’ambassadeur de Taïwan pour échanger sur des partenariats possibles avec notre zone d’innovation en cybersécurité. Le consulat de France pour parler culture et (encore) de cybersécurité. L’ambassadeur du Mexique pour échanger notamment sur l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) dont la seule présence institutionnelle au Canada est à Gatineau. Soit dit en passant, l’UNAM est une des plus grandes universités des Amériques, elle a autant d’étudiants que Gatineau a de citoyens : 300 000. Et finalement, durant la même période, j’ai rencontré l’ambassadeur de Mongolie qui voulait explorer la possibilité d’établir des liens avec l’Université du Québec en Outaouais.

La présence de Gatineau aux frontières de la capitale lui donne une capacité stratégique d’action méconnue dans votre ministère et elle n’est pas la seule.

Partout au Québec, et pas seulement dans les plus grandes villes, les municipalités ont développé une certaine expertise internationale. En voici quelques exemples.

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Un drone du Centre d’excellence sur les drones (CED) d’Alma

Grâce à son centre d’excellence sur les drones, la ville d’Alma (et l’ancien maire Marc Asselin) a un des meilleurs réseaux de contacts nord-américains dans le domaine des drones.

Drummondville fait du recrutement de main-d’œuvre à l’étranger depuis des décennies, elle a développé une expertise importante dans le domaine.

Shawinigan et son maire, un féru d’économie sociale, ont un réseau impressionnant à l’étranger dans ce domaine.

Gatineau fait partie d’un réseau mondial d’expertise sur le vivre-ensemble et ses policiers ont fait des formations en Haïti.

Les villes ont également la sagesse de faire, de temps à autre, des missions à l’étranger pour s’inspirer de ce qui se fait de mieux ailleurs.

Évidemment, il y a notre capitale et notre métropole dont les activités internationales sont bien établies. D’ailleurs, si le Québec a été la première province au Canada à entretenir des relations privilégiées avec le gouvernement central chinois, c’est grâce notamment aux liens établis entre Montréal et Shanghai à l’époque des « villes ouvertes » chinoises⁠2.

Conclusion de tout cela ? Pour que l’action internationale du Québec soit plus forte, les villes doivent absolument être des partenaires privilégiées du gouvernement du Québec : elles ont déjà de l’expertise.

Imaginez si tous les maires portaient, dans des rencontres ici comme à l’étranger, les mêmes messages que le gouvernement du Québec quant à nos intérêts stratégiques. Notre force de frappe en serait multipliée.

Et là je ne parle que des élus, des fonctionnaires les accompagnent dans des rencontres ici comme à l’étranger. Imaginez s’ils étaient formés par votre ministère. On ne fait rien de cela présentement. Pire encore, l’Institut de la diplomatie du Québec forme vos employés, mais il ne peut toujours pas admettre les élus et les fonctionnaires municipaux dans ses formations.

Les villes ont des voix, mais elles ont également des expertises que nous pourrions mettre au service de nos partenaires à l’étranger. Dans leurs champs de compétence, les villes du Québec se comparent avantageusement à celles de bien des pays. Des pays comme les Pays-Bas se servent d’ailleurs de leurs experts municipaux comme consultants pour accompagner les pays en développement. Le potentiel municipal de contribuer au rayonnement international du Québec est considérable… et presque totalement inexploité.

Je terminerais en disant que le voyage à Washington en 2018 avait été organisé par la Fédération canadienne des municipalités (FCM). En effet, la plus grande partie des actions municipales des villes québécoises se fait selon les priorités de la FCM et du Canada.

Je rappelle donc à votre bon souvenir la doctrine Gérin-Lajoie, doctrine qui affirme que le Québec peut, s’il le souhaite, agir directement sur la scène internationale dans le domaine qui relève de sa compétence. Il serait temps que le Québec se rappelle que les affaires municipales relèvent de lui et qu’il peut utiliser l’extraordinaire potentiel des villes pour l’aider à rayonner partout dans le monde. Le Canada, lui, l’a compris.

Merci d’avoir pris le temps de me lire, et bonnes réflexions.

1. Lisez « Pedneaud-Jobin plaidera pour l’ALENA à Washington » 2. Lisez « Point de vue montréalais sur une relation privilégiée : Montréal et Shanghai »