Le silence est assourdissant, tant à Québec qu’à Ottawa, sur ce qui adviendra du poids politique du Québec au sein du Canada advenant que les deux gouvernements conservent leurs cibles actuelles d’immigration. La question remet pourtant en questions certains des équilibres fondamentaux de la fédération.

Selon les projections de Statistique Canada compilés à la demande de La Presse, le poids du Québec au sein du Canada chutera à 18 % d’ici 25 ans. Cela, si on continue avec des cibles de 500 000 immigrants par année pour le Canada à compter de 2025 et de 50 000, pas plus, pour le Québec.

Voilà qui va rompre des équilibres linguistiques fragiles qui sont des composantes essentielles de la fédération canadienne. Parce que des pressions vont inévitablement se faire sentir pour remettre en question le statut du français comme langue officielle.

Cet équilibre linguistique tient à trois composantes essentielles. D’abord que le français soit la langue officielle parlée par une partie significative de la population. Jusqu’au début de ce siècle, c’était environ un quart.

Mais entre les recensements de 1961 et de 2021, la proportion de « Canadiens dont le français était la première langue officielle parlée » est passée de 27,2 % à 21,4 %. On devrait logiquement passer sous la barre des 20 % dans quelques années.

Le poids du Québec au sein du Canada diminue essentiellement au même rythme. Selon Statistique Canada, avec les seuils d’immigration actuels, le Québec comptera pour moins de 20 % de l’ensemble canadien vers 2036.

Cela remet en question un autre équilibre essentiel de la fédération canadienne : que l’Ontario et le Québec aient une taille assez comparable. Historiquement et politiquement, ce fut un équilibre important pour la fédération.

Or, selon les projections de Statistique Canada, l’Ontario devrait avoir le double de la population du Québec d’ici 20 ans tout au plus. Cet équilibre ne sera plus qu’une vue de l’esprit.

Enfin, dernier élément d’équilibre, le Québec est l’ancrage politique de la francophonie canadienne. Il tombe sous le sens que si le Québec perd de son poids politique au sein du Canada, c’est une mauvaise nouvelle pour tous les francophones du pays.

Tous ces éléments font en sorte qu’il est incompréhensible que ni le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, ni son homologue québécois, François Legault, ne semblent y voir une raison de jeter un nouveau regard à leurs politiques d’immigration.

C’est plus étonnant dans le cas de M. Trudeau. La défense des intérêts des francophones hors Québec fait pourtant partie de l’ADN du Parti libéral du Canada.

Or, il est évident que l’accueil d’un demi-million d’immigrants par année va affecter très négativement ces communautés francophones, qui seront encore plus minoritaires et, donc, auront encore moins de représentants dans leurs législatures.

On n’a qu’à voir ce qui se passe actuellement au Nouveau-Brunswick – pourtant la seule province officiellement bilingue – pour comprendre ce qui pourrait arriver aux droits des francophones hors Québec si leur poids politique devait encore diminuer.

Il faut noter ici que le gouvernement fédéral n’a jamais réussi à atteindre ses cibles d’immigration francophone dans le reste du pays. Et quand on voit l’attitude des fonctionnaires fédéraux pour l’émission de visas aux étudiants francophones d’Afrique, on comprend que ce n’est pas une très grande préoccupation dans l’appareil fédéral.

Mais, chose certaine, jamais une décision présentée comme étant d’ordre purement administratif n’aura eu autant d’effet sur l’avenir du Canada comme du Québec.

Du côté québécois, le silence est tout aussi inquiétant. Le gouvernement Legault ne semble aucunement vouloir modifier son plafond de 50 000 nouveaux arrivants par année, qu’il considère comme un plafond absolu, sans quoi le Québec serait menacé de devenir une « Louisiane du Nord ».

Même si beaucoup de groupes dans la société québécoise, y compris mais pas exclusivement le patronat, demandent de relever ce seuil, M. Legault n’en démord pas et ses ministres n’ont évoqué que de toutes petites ouvertures.

Pourtant, l’une des responsabilités du premier ministre du Québec est de préserver le poids politique de la province au sein du Canada. Robert Bourassa, en son temps, en faisait une véritable obsession. Pour M. Legault, ce serait plutôt de rendre les immigrants responsables du déclin du français, comme il l’a fait pendant toute la dernière campagne électorale.

Or, si le Québec maintient ses cibles d’immigration, il ne recevra plus que 10 % de tous les immigrants au Canada. En 2012-2013, c’était tout juste moins de 20 %. En 2018-2019, ce n’était déjà plus que 13 %. Et le gouvernement Legault dit maintenant que ce doit être encore moins.

M. Legault dit vouloir obtenir plus de pouvoirs pour le Québec en immigration – essentiellement l’autorité sur les travailleurs temporaires et la réunification familiale. Mais cela ne sera pas d’une très grande utilité devant un bouleversement aussi important du portrait de l’immigration au Canada.